LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - 2 avril 1874

[2 avril 1874]

Ma chère maman,

Je suis sorti hier après une revue du colo. J’ai d’abord rencontré le jeune Tissot qui sortait de Normale avec une vitesse V. il ne m’a rien dit de particulier. J’ai été ensuite chez M. Garnier ; je n’ai trouvé que May et Lombard qui m’ont dit que Garnier était à Bellevue et qu’il allait revenir. Lombard et Garnier sont admissibles ; May est recalé ; mais le major des recalés. Cinq minutes après Garnier rentrait ; cinq minutes après, M. Rambaud. Nous dînâmes donc à six, Garnier, Lombard, son frère le tilleur, M. Rambaud et May. Nous sortîmes ensuite et les trois droitiers (ah pardon) allèrent à la faculté pour schicksaler leurs numéros de leçons1. Je restai donc avec M. Rambaud qui m’emmena d’abord chez M. Massieux qui n’y était pas, puis au bois de Boulogne, puis nous nous nous balladâmes ; puis je quittai M. Rambaud pour aller chez Madame Rinck où étaient présents : M. et Mme Rinck, M. Élie Rinck2 en déficit de 15 frs par suite des courses ; M. et Mme Bataille, Millot, Colson3 (le blond), Girot4 et Renaud5 qui me dit que Garnier fait sa leçon aujourd’hui et Lombard après demain. Après dîner on se livre aux charmes du [choumpicoun ?].

Nous n’avons pas la visite de Mac Mahon mais probablement celle du géné Ranson, chef du personnel. Nous aurons à peu-près certainement le lundi de Pâques ; pourrons-nous découcher ? Je dîne mercredi chez Mme Barthélemy. Est-ce que le bouquin de chose contenait la compos de Riquier6 ?

Je ne saisis pas du tout le rapport de l’École professionnelle tant avec les tas de cailloux qu’avec le nouveau continent7.

Quant au problème de la Liline, c’est la simplicité même. Soit x le nombre cherché, x + 1 = y ; y sera le plus petit commun multiple de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9.


  1. Certaines personnes citées au début de cette lettre – May, Garnier, Tissot – ne semblaient pas appartenir au réseau polytechnicien de Poincaré. Bien que cette lettre soit difficile à interpréter on peut supposer que Poincaré faisait ici état des examens passés par celles-ci pour l’obtention du baccalauréat (les examens avaient lieu alors dans les facultés). Peut-être s’agissait-il de connaissances nancéiennes.

  2. Élie Rinck.

  3. En 1873-1874, il y avait trois Colson dans la promotion de Poincaré. Grâce aux registres matricules de l’École polytechnique on sait que deux seulement avaient les cheveux blonds : Clément Colson (1853-1939) et Albert Colson (1853-1933). On peut raisonnablement supposer que Poincaré faisait ici référence à Albert : celui-ci était en effet né à Varangéville, avait fait ses études au lycée de Nancy. Il avait également passé le concours de l’École polytechnique dans cette même ville. Après plusieurs années passées dans le laboratoire du chimiste Paul Schützenberger (1829-1897), il dirigea le laboratoire central de la Compagnie Saint-Gobain puis les Soudières de la Meurthe. En 1882, il se tourna vers l’enseignement : nommé répétiteur de chimie à l’École polytechnique en 1882, il y fut ensuite examinateur (1890) puis professeur titulaire en 1898. Il obtint le prix Lacaze pour ses travaux en chimie minérale. Voir le [Registres des étudiants de l’École polytechnique 2016] ainsi que son dossier de Légion d’honneur aux archives nationales (LH/19800035/133/16871). La correspondance de Poincaré contient les traces d’un échange épistolaire avec lui, ainsi qu’avec Clément Colson. Ces lettres seront publiées dans un autre volume de la correspondance de Poincaré.

  4. Il s’agit probablement d’Émile François Maurice Girod de l’Ain , un camarade de promotion de Poincaré.

  5. Marie Joseph Augustin Renaud était également un camarade de promotion.

  6. Charles Riquier.

  7. Bien que quelque peu sybilline, cette phrase fait écho aux occupations de la sœur de Poincaré en 1873-1874. À cette époque, Aline Boutroux essayait, non sans mal, de convaincre ses parents de l’autoriser à faire des études. Titulaire des brevets primaire et supérieur elle aspirait à aller plus loin, chose que n’acceptaient ni son père ni sa mère. Cependant, en 1873-1874, elle commença à enseigner au sein d’une école professionnelle qui avait été fondée récemment à Nancy (peut-être de l’École primaire supérieure de Nancy créée en 1871). Dans ses souvenirs, Aline Boutroux décrivait cette école en ces termes : « C’était une école professionnelle, philanthropique et à peu près gratuite, à laquelle devaient collaborer des jeunes filles de bonne famille et de bonne volonté, en venant faire bénévolement la classe aux petites filles. Les professeurs de métier : lingère, couturière, blanchisseuse, etc., étaient seules rétribuées. C’est ainsi que nos jeunes brevets dont l’encre avait eu à peine le temps de sécher, nous étaient déjà utiles, et que nous collaborions à la régénération nationale. La matinée des élèves était consacrée à l’étude et l’après-dîner à l’apprentissage du métier. » [A. Boutroux 2012, chap. XXIII]. Elle enseigna plusieurs années dans cette institution dont on lui proposa même d’assurer la direction vers 1878.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 2 avril 1874
Incipit
Je suis sorti hier après une revue du colo ...
Date
1874-04-02
Identifiant
L1874-04-02-HP_EP
Lieu
Paris
Sujet
fr Affaires diverses (polytechnique)
fr Visites familiales et amicales
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
2
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
2
Mots d'argot polytechnicien cités
Colo
Major
Tilleur
Schicksale / Schicksaler
Géné
Numéro
050
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 2 Avril 1874 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 28 mars 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/13069