LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - avril 1874

[Fin avril 1874]

Ma chère maman,

Je ne t’ai pas écrit hier parce que les fournitures de bureau me manquaient totalement. J’ai encore eu un malheur en colle samedi dernier ; j’ai eu 18 en physique ; cela avait très bien commencé ; mais une malheureuse phrase m’a perdu. La situation n’est pas encore bien inquiétante ; cependant elle est aggravée par l’élévation incroyable des notes que donnent les colleurs ; mais cet état des choses ne se prolongera pas aux examens et il ne s’agit que de tenir jusque là.

Je suis sorti hier chez les Rinck qui m’ont emmené aux courses à Longchamp ; M. Rinck et Élie1 se sont livrés à de savantes combinaisons qui ont abouti finalement à une perte nette de 7 à 11 frs2. En rentrant, savante discussion sur les avantages respectifs du pari à la cote et du pari mutuel3. Mme Rinck fait observer timidement que les deux systèmes aboutissent tous les deux au même résultat final.

La conversation tombe ensuite sur les Nancéiens récemment débarqués. Élie demande l’invitation de Nanine4 pour mercredi ; il demande de plus qu’on le prévienne si elle doit venir à l’X mardi ; auquel cas il remplacerait son pantalon berry par son pantalon berry à bandes.

La Liline est bien bébête ; comment n’a-t-elle pas deviné que le plus court chemin voulait dire chemin parcouru dans le temps le plus court.

Je vais donc lui donner quelques renseignements : d’abord la vraie méthode pour résoudre son problème consiste à s’appuyer sur ce que quand une quantité passe par un maximum elle est égale à la valeur qu’elle prend pour une valeur infiniment voisine de la variable.

Elle peut encore chercher le chemin que doit parcourir le mobile (ce chemin se composant de deux droites allant jusqu’au plan) pour aller de A en B dans un temps donné ; pour cela elle considérera la projection de l’intersection de deux cônes, dont les demi-angles au sommet seront tels que AB/SB=V.

Elle cherchera ensuite le minimum de temps en étudiant les propriétés de la tangente à cette intersection.

 


  1. Élie Rinck.

  2. En 1871, le salaire moyen journalier d’un maçon « non nourri » (sans repas) était d’environ 3 Francs [Collectif 1875].

  3. Le pari à la cote était un mode de pari propre aux courses de chevaux dans lequel les gains étaient annoncés à l’avance. Il y avait en France de nombreux débats sur ce type de pari, surtout depuis que Joseph Oller avait créé le pari mutuel en 1868. Cette nouvelle forme de pari reposait sur un groupement officiel dont le rôle était de répartir le montant total des enjeux entre les différents gagnants en proportion de la mise de chacun et après prélèvement d’un montant légal connu à l’avance. En juin 1891 le pari mutuel devint le seul type de pari autorisé en France.

  4. La tante Marie, à savoir Marie-Nanine Poincaré.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - avril 1874
Incipit
Je ne t'ai pas écrit hier parce que les fournitures de bureau me manquaient totalement.
Date
1874-04
Identifiant
L1874-04c-HP_EP
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Visites familiales et amicales
fr Affaires diverses (polytechnique)
fr Colles et examens (polytechnique)
fr Courses hippiques
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
2
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
2
Mots d'argot polytechnicien cités
Colle
Colleur
Cote / Coter
X
Berry
Numéro
056
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - Avril 1874 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 18 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/13511