Poincaré évoque ici le philosophe Félix Ravaisson. Celui-ci occupe une place à part dans la philosophie française de son époque. Hormis une brève période durant laquelle il enseigna la philosophie à Rennes, Ravaisson fit l’essentiel de sa carrière dans l’administration, en tant qu’inspecteur général pour l’enseignement supérieur des Lettres (1852-1870) puis en tant que conservateur des antiques et de la sculpture moderne au musée du Louvre (1870-1887). Bien que dépourvu de chaire universitaire, il exerça cependant une profonde influence sur plusieurs philosophes de la fin du 19e siècle, dont Henri Bergson et Émile Boutroux. C’est ainsi sur les conseils de Ravaisson que Boutroux avait effectué, de 1868 à 1870, une mission en Allemagne afin d’y étudier l’organisation de l’enseignement supérieur. Il avait passé l’essentiel de son temps à Heidelberg où il avait suivi les enseignements de l’historien Heinrich Treitschke (1834-1896), de l’historien de la philosophie Édouard Zeller (1814–1908) et du scientifique Hermann von Helmholtz (1821-1894). Promoteur d’une philosophie spiritualiste, Ravaisson avait publié en 1867 un important rapport sur La philosophie en France au 19e siècle [F. Ravaisson 1868] qui faisait état d’un conflit majeur entre deux tendances philosophiques dominantes : le positivisme d’une part (et toutes ses variantes qui se conjugaient sous les termes de matérialisme scientifique, déterminisme, nécessitarisme, etc.) et l’idéalisme d’autre part. Selon Ravaisson, le conflit avait tourné bien des fois à l’avantage du courant idéaliste mais cette domination du spiritualisme universitaire vers la fin du 19e siècle n’avait pu se faire qu’au prix d’une adaptation à certains schèmes du courant positiviste. Par ses travaux, et notamment sa thèse de doctorat, Boutroux [É. Boutroux 1874] devait justement devenir le représentant d’un certain positivisme spiritualiste. Pour plus de détails voir [L. Rollet 2000]. On ne connaît pas l’état des relations entre Poincaré et Ravaisson mais on sait, par Paul Valéry, que le mathématicien assista aux obsèques du philosophe en 1900 ; voir sur ce point ses Cahiers [P. Valéry 1987-1990, p. 337].