LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - juin 1876

[Juin 1876]

Ma chère maman,

Rien de neuf depuis jeudi.

2e journée (suite)

À 5 h ½ nous nous remettons en marche et nous traversons Houlgate et Beuzeval. À Beuzeval nous trouvons 4 paysans sur une voiture à deux roues, assis sur des tonneaux ; ils nous offrent de monter ; nous acceptons et nous voilà assis partie sur des tonneaux partie sur le bord. Nous arrivons ainsi à Dives en un clin d’œil ; nous descendons et nous offrons à boire aux paysans ; nous revenons à Guillaume le Conquérant où nous trouvons enfin nos cocons qui finissent par arriver et un bus où nous embarquons. De Dives à Caen nous ne descendons que dans une carrière ; nous montons sur l’impériale du bus ; d’autres restent dedans. À 9 h nous faisons notre arrivée dans Caen.

Nous arrivons à l’hôtel d’Angleterre nous dînons et je vais me coucher dans ma chambre avec Badoureau.

3e journée

Caen

Le lendemain à 7 h ½ Chan nous emmène au musée d’Histoire Naturelle où nous errons pendant quelque temps ; sur la place il y a la statue de Louis XII et où demeurait M. Rambaud1 et nous arrivons à savoir que c’est à l’autre bout de la ville ; rien de bien curieux dans le dit musée. Arrivés à la porte nous nous trompons encore et nous tombons au milieu d’un agrégé de droit qui faisait son cours ; ce n’était pas M. Villey2.

Lecornu réapparaît et nous emmène à la cathédrale, au champ de course, au palais de justice.

À 10 h nous devrions déjeuner ; on attend Chan jusqu’à 11 h ; à midi nous nous remettons en route dans le même bus. Nous sommes accompagnés de Lodain3 l’ingénieur des mines de Caen. L’excursion est exclusivement busestre4. Nous descendons 5 ou 6 fois en route. D’ailleurs les hostilités ne commencent pas encore. Nous visitons d’abord les carrières d’Allemagne où nous ne voyons rien du tout5, puis celle des bords de la Laize où nous voyons davantage, enfin celles de May6 où nous achetons des homolonautus7.

Toutes ces localités sont au S [sud] de Caen à une certaine distance ; il y a d’assez jolis sites grâce à l’Orne, qui roule le long d’une sorte de falaise de 50 m formée de terrains plus anciens que la plaine d’alentour. Nous rentrons à 8 h ; nous dînons.

 


  1. Alfred Rambaud.

  2. Il s’agit de l’économiste Edmond Villey-Desmeserets .  La famille Villey-Desmeserets était particulièrement proche des familles Poincaré et Boutroux. Poincaré côtoya Edmond Villey-Desmeserets pendant deux ans à Caen lorsqu’il débuta sa carrière à la faculté des sciences comme chargé de cours de calcul différentiel et intégral (1879-1881). De plus, l’un des fils de celui-ci, Pierre (1880-1933), devait épouser Louise Boutroux, une des filles d’Aline et d’Émile Boutroux. Dans le registre des unions matrimoniales, un autre fils d’Edmond Villey-Desmeserets, Jean , professeur de physique à la Faculté des sciences de Paris, se maria avec Suzanne Picard, fille du mathématicien Émile Picard et petite-fille d’un autre mathématicien non moins renommé, Charles Hermite.

  3. Édouard LodinPoincaré écrit Lodain .

  4. Busestre : néologisme pour l’expression « en bus ».

  5. Il est question ici des carrières de Fleury-sur-Orne, petite ville dont le nom ancien – Allemagne – fut changé en 1916 en raison de la guerre. C’est principalement sur le carreau d’Allemagne qu’était extraite, depuis des siècles, la pierre de Caen qui avait servi à la construction de nombreux édifices en France et à l’étranger (les abbayes de Caen, la Tour de Londres). D’abord à ciel ouvert, l’exploitation était devenue souterraine à partir du 15e siècle, ce qui explique sans doute la plaisanterie de Poincaré sur son incapacité à voir quelque-chose durant sa visite [L. Dujardin 1998].

  6. Ces deux carrières sont situées au sud de Caen, respectivement à Laize-la-Ville et à May-sur-Orne. Elles étaient florissantes dans la seconde moitié du 19e siècle.

  7. Homalonotus : espèce disparue de trilobite.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - juin 1876
Incipit
Rien de neuf depuis jeudi.
Date
1876-06
Identifiant
L0240
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Course géologique en Normandie
fr Visites familiales et amicales
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
4
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
4
Mots d'argot polytechnicien cités
Cocon
Numéro
240
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - Juin 1876 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 19 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/3662