LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - vers le 10 juin 1874

[Vers le 10 juin 1874]

Ma chère maman,

Je viens enfin de sortir de l’infirmerie ; je n’ai pas envoyé la lettre au médecin parce que cela ne valait plus la peine. Le temps de pioche commence après demain. Tu n’as pas compris ce que je disais quand je t’écrivais que nous ne ferions plus rien pendant 8 jours ; c’était à partir de mon entrée et non de ma sortie. Je ne pouvais demander à partir aujourd’hui pour revenir après-demain. Je ne sais pas encore aujourd’hui la date de mon dernier exam ; je ne saurai rien de positif d’ici à quelques jours ; peut-être demain ; je t’écrirai dans tous les cas immédiatement. J’ai toutefois pu reconnaître une fois de plus que le géné est un animal ; il ne cherche qu’à retarder le moment de la sortie et d’une façon tout à fait inutile dans le seul but de poser au ministère pour le type qui force les X à chiader ; tandis qu’en réalité il ne fait que nous laisser nous morfondre pendant 8 jours sans rien faire. Il adresse des rapports insensés où il exagère la faiblesse des conscrits et la force phénoménale des ancs [anciens] ; en même temps il nous représente comme des agneaux prêts à subir toutes ses volontés. Aussi quel four ! Il commence par dire qu’il va mettre Colson au Cherche-Midi1, à la porte de l’X, que sais-je ; il s’en serait bien gardé le malheureux, il aurait fallu parler au ministère ; mais un pitaine de ses amis effrayé écrit à sa mère qui s’adresse immédiatement au colo d’étamaj. de Cissey2 ; entrée du colo ; tableau ; rogne du géné qui conspue Lambrecht et pique la lèche à Colson ; lui fait des excuses de l’avoir pincé ; etc. ; du reste je crois qu’il regrettait réellement qu’on eût pincé un bottier3.

Nous allons avoir très probablement deux ronds et un blâme pour nous distraire d’ici à quelques jours. Il y a encore en ce moment un autre sujet de distraction, c’est l’élection de la commission des cotes qui aura lieu samedi ; nous aurons peut-être prolonge dimanche.

 


  1. Poincaré fait ici référence à la prison militaire du Cherche-Midi qui se situait à l’angle du boulevard Raspail et de la rue du Cherche-Midi. C’est dans cette prison qu’Alfred Dreyfus devait être incarcéré par les autorités militaires après son arrestation en 1894.

  2. Le général de division Ernest Courtot de Cissey  était depuis mai 1874 le vice-président du conseil du gouvernement présidé par Patrice de Mac Mahon. Il cumulait cette fonction avec celle de ministre de la Guerre, ce qui lui conférait par conséquent la tutelle de l’École polytechnique. Il conserva ces deux postes jusqu’en mars 1875.

  3. Clément Colson était effectivement un très bon élève et aspirait sans nul doute à être un bottier. Classé 7e de la promotion en fin de première année, il quitta l’École polytechnique en 1875 avec le 17e rang et continua ensuite ses études à l’École des ponts et chaussées.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - vers le 10 juin 1874
Incipit
Je viens enfin de sortir de l'infirmerie ...
Date
1874-06-10
Identifiant
L0073
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Examens intermédiaires et finaux
fr Chahuts étudiants
fr Affaires diverses (polytechnique)
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
2
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
2
Noms cités dans l'apparat
Alfred Dreyfus
Patrice de Mac Mahon
Mots d'argot polytechnicien cités dans l'apparat
Bottier
Numéro
073
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - Vers Le 10 Juin 1874 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 20 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/3767