LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - 22 novembre 1873

Samedi [22 novembre 1873]

Ma bonne maman,

Tu me demandes des détails sur les calomnies ; je n’en sais pas plus que toi sur ce sujet ; je t’ai reproduit presque textuellement le topo qui en parlait, il a été affiché à la planche topo des anciens par je ne sais qui. Un jésuite, nommé Guipon1, l’a arraché ; mais se l’est laissé reprendre par un autre qui l’a donné à Badoureau et Badoureau est venu me l’apporter. Voilà tout ce que je sais à ce sujet. Dans tous les cas mes rapports avec les autres jésuites que Ruault n’ont pas souffert. Je ne pouvais agir autrement sans paraître être des leurs.

Enfin cette affaire est encore arrangée. Ils ont eu peur, je crois, de la quarantaine, qui les aurait privés du droit de vote. Toujours est-il qu’ils sont venus au rond. Les élèves se sont réunis à l’amphi ; les 4 majors au milieu du rond ; puis le tambour a battu [2 mots illisibles]. Badoureau a alors appelé le conscrit Ruault et le cocon Leblanc2, et leur a fait un discours. Depuis on ne parle plus de l’histoire.

J’ai eu une colle jeudi dernier ; une colle de géo, avec Laguerre3 ; au lieu d’une colle de chimie comme je croyais. Comme nous avions un nouveau basoff qui n’est pas au courant du service on a affiché les notes de colle, en lettres seulement. J’avais TB ce qui correspond à 16, 17, 18 et peut-être à 19. Nous avons remis l’arbre et le jodot dont je suis content. Nous avons commencé une épure. Je suis très en avance sur les autres. Seulement j’ai beaucoup à gratter ; heureusement ma gomme à encre va très bien et puis le papier n’est pas très bon pour le trait.

J’ai été mercredi chez Mme Brice4 que je n’ai pas trouvée et chez Mme Olleris5. J’ai un rendez-vous dimanche avec Albert6 ; je dois dîner mercredi chez Mme Vallet.

J’ai reçu hier une lettre d’Appell qui me dit que M. Bertin7 a à me parler ; j’irai dimanche.

Je n’ai pas de nouvelles de l’affaire de Maniguet. Adieu ma bonne maman, je te quitte pour faire mon épure.

J’embrasse tout le monde.

Henri

 


  1. Henri Jean Palamède Augustin Guipon.

  2. Gustave Joseph Leblanc était de la promotion 1872.

  3. Edmond Laguerre.

  4. Dans la correspondance de Poincaré avec sa mère il est très souvent question de visites chez Monsieur et Madame Brice. Poincaré ne donne pas suffisamment d’informations pour identifier formellement cette famille. On peut néanmoins proposer deux pistes biographiques. La première piste concernerait une famille d’officiers lorrains dont le souvenir est encore présent aujourd’hui dans la ville de Nancy (elle a ainsi donné son nom à la « rue des Brice »). Le premier de cette lignée était le général Joseph Brice (1783-1851). Officier d’Empire, engagé dans la campagne de Russie, il avait été condamné à mort sous la restauration puis acquité et remis en service. Un de ses frères avait été adjoint à la mairie de Nancy dans les années 1850-1860. Joseph Brice avait eu deux enfants, tous deux généraux comme lui : Louis Brice (1821-1903) avait fait des études à Saint-Cyr et avait été engagé dans les campagnes d’Algérie et de Crimée ; il avait servi sous les ordre de Patrice de Mac Mahon. Son second fils, Alphonse Brice (1820-1893) était né à Longuyon ville dans laquelle la famille Poincaré avait des attaches anciennes – la mère de Poincaré étant originaire de la commune voisine d’Arrancy. Alphonse Brice avait combattu à Forbach et Saint-Privat durant la Guerre de 1870 et devait par la suite commander le Prytanée militaire de La Flèche. Pour plus de détails, on lira [J.-M. Cuny 2001] ainsi que les dossiers de Légion d’honneur aux archives nationales de Louis (LH/363/19) et d’Alphonse Brice (LH/363/32).

    Seconde hypothèse, il pourrait s’agir d’Armand Matthieu Brice de Ville (1806-1875) et de son épouse, Lucie Aimée Joséphine Brice de Ville, née Branger. Celui-ci avait exercé la fonction de percepteur des contributions directes. De son union en 1837 devait naître un fils unique, René Joseph Brice de Ville (1839-1921), qui eut une carrière politique brillante à partir de 1870. Avocat, président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine, député républicain (modéré), il fut également un gestionnaire important de diverses sociétés privées, assez représentatif des milieux républicains d’affaires : administrateur des Chemins de fer de l’Ouest, du Crédit foncier d’Algérie et du Crédit franco-canadien et, surtout, sous-gouverneur du Crédit foncier de France. René Joseph Brice devait devenir le beau-père du président de la République Paul Deschasnel. Peu d’indices directs permettent de confirmer cette hypothèse si ce n’est deux connexions potentielles avec Henri Poincaré : d’une part, la mention en juin 1875 d’un séjour à l’hôpital de « Monsieur Brice » et la disparition de toute mention à son sujet dans les lettres ultérieures, Armand Matthieu Brice de Ville étant décédé le 28 juin 1875 (voir la lettre page 200) ; d’autre part, le fait que leur fils René Joseph Brice de Ville ait été associé au Crédit foncier de France constitue une piste biographique intéressante dans la mesure où Poincaré devait se marier avec Louise Poulain d’Andecy, elle-même fille d’un administrateur du Crédit foncier. Pour plus de détails, voir la notice sur René Joseph Brice dans [A. Robert & G. Cougny 1890-1891].

  5. Il s’agit de Marie Olleris. Comme on le verra dans les prochaines lettres, Poincaré rendait fréquemment compte de ses visites dans les familles Brunement et Olleris.

  6. Albert Gille.

  7. Pierre Augustin Bertin-Mourot .Voir également la lettre suivante.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 22 novembre 1873
Incipit
Tu me demandes des détails sur les calomnies ...
Date
1873-11-22
Identifiant
L1873-11-22-HP_EP
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Candidature à l’École normale supérieure (1873)
fr Colles et examens (polytechnique)
fr Affaire des postards
fr Visites familiales et amicales
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe signée
Section (dans le livre)
1
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
2
Numéro
007
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 22 Novembre 1873 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 20 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/3995