LettreHenri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 1er août 1881

Caen, le 1er Août 18811
Faculté des sciences de Caen – Instruction Publique

Mon cher ami,

Permettez-moi de vous envoyer encore un exemple relatif à notre équation \[\sum {u_i F_i \frac{dz}{du_i}} = z\] exemple qui mettra bien en lumière la nature et les propriétés de l’intégrale.

Je suppose, vous vous le rappelez, que, quand on annule tous les \(u\), \[F_1 ,\;F_2 ,\quad \ldots \quad F_n \;\] se réduisent à 1, \[x - \alpha_2 ,\quad \ldots \quad x - \alpha_n.\]

Je pose :2 \[z = tu_1\] d’où : \[\frac{{dz}} {{du_i }} = u_1 \frac{{dt}} {{du_i }}\quad \quad \frac{{dz}} {{du_1 }} = t + u_1 \frac{{dt}} {{du_1 }}\]

L’équation (1) va devenir, en supposant n = 3 pour fixer les idées : \[u_1 F_1 \frac{{dt}} {{du_1 }} + u_2 F_2 \frac{{dt}} {{du_2 }} + u_3 F_3 \frac{{dt}} {{du_3 }} = t\left( {1 - F_1 } \right)\]

Je pose maintenant : \(t = e^v\) d’où \[\frac{{dt}}{{du_i }} = e^v \frac{{dv}}{{du_i }}\] l’équation (1) devient alors : \[u_1 F_1 \frac{{dv}}{{du_1 }} + u_2 F_2 \frac{{dv}}{{du_2 }} + u_3 F_3 \frac{{dv}}{{du_3 }} = \left( {1 - F_1 } \right)\] ou en posant : \[\frac{{F_2 }} {{F_1 }} = \varphi_2 \quad \frac{{F_3 }} {{F_1 }} = \varphi_3 \quad \frac{{1 - F_1 }} {{F_1 }} = \varphi\] \[u_1 \frac{{dv}} {{du_1 }} + u_2 \varphi_2 \frac{{dv}} {{du_2 }} + u_3 \varphi_3 \frac{{dv}} {{du_3 }} = \varphi\]

Quand on annule tous les u, les fonctions \[\varphi_2 ,\;\varphi_3 \;\text{et}\;\varphi\] se réduisent respectivement à : \[x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3 ,\;0\]

Eh bien, je vais supposer que \[\varphi_2 \;\text{et}\;\varphi_3\] se réduisent identiquement à \[x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3;\] j’aurai ainsi un exemple simple où l’intégrale s’écrira presqu’immédiatement.

Soit en effet : \[\varphi = \sum {A_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } } u_1^{m_1 } u_2^{m_2 } u_3^{m_3 }\] et écrivons que la fonction inconnue v s’écrit : \[v = \sum {C_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } } u_1^{m_1 } u_2^{m_2 } u_3^{m_3 }\]

On a, en identifiant : \[C_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } \left( {m_1 + m_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + m_3 \left( {x - \alpha_3 } \right)} \right) = A_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 }\] ce qui donne les valeurs des C. Il n’y aurait en effet de difficulté que si l’on avait : \[m_1 + m_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + m_3 \left( {x - \alpha _3 } \right) = 0\]

Or dans le cas où l’origine est extérieure au triangle formé par les points 1, \(x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3\) ; cela ne peut arriver que si3

\[m_1 = m_2 = m_3 = 0.\]

Mais alors, comme \(A_{0,\;0,\;0}\) est nul, l’équation (2) se réduit à une identité.

Quant à la convergence de la série, elle se démontre aisément dans le cas où l’origine est extérieure au triangle \(1, x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3\).4

On a donc une fonction v holomorphe définie par la série convergente : \[v = \sum {\frac{{A_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } u_1^{m_1 } u_2^{m_2 } u_3^{m_3 } }} {{m_1 + m_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + m_3 \left( {x - \alpha_3 } \right)}}}\] ce qui définit en même temps une intégrale z holomorphe de l’équation (1).

Ces fonctions \(v\) et \(z\) présenteront un espace lacunaire déterminé par la condition que l’origine soit intérieure au triangle \(1,\;x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3\). Cet espace lacunaire est limité par trois droites, dont l’une est la droite \(\alpha_2 \alpha_3\) et les autres sont les parallèles à l’axe des quantités réelles menées par \[\alpha_2 \;\text{et}\;\alpha_3\] dans la direction des quantités réelles négatives.5

 

Si au lieu de supposer que \(F_2\) et \(F_3\) se réduisent à \(x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3\) quand on annule tous les \(u\), j’avais supposé que ces fonctions se réduisent à \[\frac{{x - \alpha_2 }} {{x - \alpha_1 }},\quad \frac{{x - \alpha_3 }} {{x - \alpha_1 }}\] j’aurais eu pour espace lacunaire le triangle \(\alpha_1 \alpha_2 \alpha_3\).6 Vous voyez comment dans le cas simple où l’on a identiquement : \[F_2 = F_1 \times \left( {x - \alpha_2 } \right)\quad \quad F_3 = F_1 \times \left( {x - \alpha_3 } \right)\] ou bien \[F_2 = F_1 \times \frac{x - \alpha_2} {x - \alpha_1}\quad \quad F_3 = F_1 \times \frac{x - \alpha_3} {x - \alpha_1}\] la question peut se traiter. Si vous le désirez d’ailleurs, je pourrai vous envoyer un exemple plus compliqué.

Veuillez agréer, mon cher ami, l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.

Poincaré


Apparat critique

  1. Caen-1er août — Helsingfors-6 août.

  2. Quand \(F_1\) est identiquement égale à 1, la seule intégrale holomorphe est \(Cu_1\). Lorsque \(F_1\) “se réduit à 1 quand on annule les \(u\)”, les solutions sont obtenues en faisant varier la constante; voir Poincaré à Mittag-Leffler, 26.07.1881 (voir lettre n°7).

  3. La condition \[m_1 + m_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + m_3 \left( {x - \alpha _3 } \right) = 0\] exprime que 0 est le barycentre des points 1, \[x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3,\] affectés des poids \(m_1 ,\,m_2 ,\,m_3\). Comme les coefficients sont positifs, cette condition revient à affirmer que 0 appartient au triangle de sommets 1, \[x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3.\]

  4. Il est clair que si la série \[\varphi = \sum {A_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } u_1^{m_1 } u_2^{m_2 } u_3^{m_3 } }\] converge, a fortiori la série de terme général \[\frac{{A_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } u_1^{m_1 } u_2^{m_2 } u_3^{m_3} }} {{m_1 + m_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + m_3 \left( {x - \alpha_3 } \right)}}\] est aussi convergente tant que \[m_1 + m_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + m_3 \left( {x - \alpha _3 } \right) \ne 0.\]

  5. Comme 0 appartient au triangle 1, \[x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3,\] il existe \[\lambda_1 ,\,\lambda_2 ,\,\lambda_3\] positifs vérifiant \[\lambda_1 + \lambda_2 \left( {x - \alpha_2 } \right) + \lambda _3 \left( {x - \alpha_3 } \right) = 0.\] L’affirmation de Poincaré est donc justifiée puisqu’on peut donc écrire \[x = \mu + a\alpha_1 + b\alpha_2\]\[\mu \geq 0\;\text{et}\;a + b = 1.\]

  6. En reprenant les mêmes notations que dans l’exemple précédent et en supposant que \(F_2\) et \(F_3\) se réduisent à \[\frac{{x - \alpha_2 }} {{x - \alpha_1 }},\,\frac{{x - \alpha_3 }} {{x - \alpha_1 }},\] on obtient \[C_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 } \left( {m_1 + m_2 \left( {\frac{{x - \alpha _2 }}{{x - \alpha_1 }}} \right) + m_3 \left( {\frac{{x - \alpha_3}} {{x - \alpha_1 }}} \right)} \right) = A_{m_1 ,\;m_2 ,\;m_3 }.\]

    De la même manière, il n’y a des difficultés que si \[m_1 + m_2 \left( {\frac{{x - \alpha_2 }} {{x - \alpha_1 }}} \right) + m_3 \left( {\frac{{x - \alpha_3 }} {{x - \alpha_1 }}} \right),\] autrement si 0 appartient au triangle de sommets \[x - \alpha_1 ,\;x - \alpha_2 ,\;x - \alpha_3,\] ou si \(x\) appartient au triangle de sommets \[\alpha_1 ,\,\alpha_2 ,\,\alpha_3.\]

Titre
Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 1er août 1881
Incipit
Permettez-moi de vous envoyer encore un exemple relatif à notre équation...
Date
1881-08-01
Lieu
Paris
Sujet
Équations aux dérivées partielles et espaces lacunaires
Lieu d’archivage
Mittag-Leffler Institute
Section (dans le livre)
8
Nombre de pages
4
Noms cités dans l'apparat
Poincaré, Henri (1854-1912)
Langue
fr
Publié sous la référence
CHP 1:8
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 1er août 1881 ». La Correspondance Entre Henri Poincaré Et Gösta Mittag-Leffler. Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 23 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/5837