LettreHenri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 30 octobre 1884

[30/10/1884]1

Mon cher ami,

Je vous ai adressé il y a quelques jours2 déjà un travail3 qui n’est que le développement4 de ma note des Comptes Rendus sur un théorème de M. Fuchs.5

J’espère pouvoir vous envoyer très prochainement un tirage à part de ma note sur la réduction / des intégrales abéliennes.6

C’est la démonstration et la généralisation de théorèmes de M. Weierstrass7 énoncés par Mme Kowalevski dans les Acta. Mme Kowalevski m’a promis il y a quelque temps de me faire connaître les méthodes qu’avait employées M. Weierstrass ; je pense les recevoir bientôt.8

Je n’ai toujours reçu aucune réponse de M. Kaufmann au sujet de la publication dans le Monde Illustré de la biographie de Mme Kowalevski.9

Votre ami dévoué

Poincaré


  1. Date du cachet de la poste de Paris. Paris-30 novembre — Stocholm-3 décembre.

  2. L’article de Poincaré Sur un théorème de M. Fuchs est daté du 25 novembre 1884.

  3. Poincaré (1885), (1934, 4–31).

  4. Voir lettre n°44.

  5. Poincaré (1884b), (1934, 1–3).

  6. Poincaré (1884a), (1934, 333–51).

  7. Poincaré cite les deux théorèmes de Weierstrass au début de son article :

    En 1874, M Kowalevski a envoyé à l’Université de Göttingen un Mémoire qui va paraître dans les Acta mathematica. Dans ce Mémoire (Ueber die Reduction einer bestimmten Klasse Abel’scher Integrale \(3^{\mathit{ten}}\) Ranges auf elliptische Integrale), elle cite les deux théorèmes suivants, dus à Weierstrass :
    Si l’on envisage un système de \(\rho\) intégrales abéliennes de rang \(\rho\), parmi lesquelles il y en a une qui est susceptible d’être réduite aux intégrales elliptiques, et si l’on considère également la fonction \(\Theta\) correspondante :
    1 Cette fonction \(\Theta\) à \(\rho\) variables peut être changée, par une transformation d’ordre \(k\), en un produit d’une fonction \(\Theta\) à une variable et d’une fonction \(\Theta\) à \(\rho\)1 variables.
    2 Elle peut également par une transformation linéaire, c’est à dire du premier ordre, être amenée à une forme telle que, le tableau des périodes s’écrivant comme il suit : \[\left\{ {\begin{array}{*{20}c} 1 & 0 & \ldots & 0 & {\tau _{11} } & {\tau _{12} } & \ldots & {\tau _{1\rho } }\\ 0 & 1 & \ldots & 0 & {\tau _{21} } & {\tau _{22} } & \ldots & {\tau _{2\rho } }\\ . &. & \ldots &. & \ldots & \ldots & \ldots & \ldots \\ 0 & 0 & \ldots & 1 & {\tau _{\rho 1} } & {\tau _{\rho 2} } & \ldots & {\tau _{\rho \rho } } \end{array} } \right.\] avec les conditions habituelles \(\tau_{\alpha \beta } = \tau_{\beta\alpha}\) la période \(\tau_{12}\) soit commensurable et que les périodes \(\tau_{13},\tau_{14},\quad\ldots,\tau_{1\rho }\) soient nulles.

    Le premier de ces théorèmes a été communiqué à M. Königsberger et le second à Mme Kowalevski par des lettres de M. Weierstrass. Mais ils ne paraissent pas avoir été publiés. Poincaré (1934, 333–34)

    Le premier est exposé et utilisé par Kovalevskaia dans l’introduction de son article Kovalevskaia (1884, 398) dans laquelle elle rappelle les travaux de Kœnigsberger (1865) sur la réduction des intégrales abéliennes du premier ordre à des intégrales elliptiques.

    Le second est cité au début du développement de son propre travail Kovalewskaia (1884, 400). Weierstrass évoque ce théorème dans une lettre adressée à Kovalevskaia le 14 juin 1882 Bölling (1993, 270–71).

  8. Poincaré avait écrit à Kovalevskaia le 14 septembre 1884 pour demander des précisions sur les démonstrations des théorèmes de Weierstrass cités dans son article sur la réduction des intégrales abéliennes (1884) :

    J’ai reçu dernièrement les épreuves de votre mémoire sur la réduction des intégrales abéliennes du 3 rang, et je les ai lues avec le plus vif intérêt. J’y trouve énoncés deux théorèmes de M. Weierstrass. La démonstration en a-t-elle été publiée ; je ne le crois pas. C’est pourquoi, bien qu’elle ne soit pas bien difficile à trouver, j’ai cru être utile à mes compatriotes en la publiant dans le Bulletin de la Société Mathématique de France, car il est très difficile en France de se procurer ces démonstrations que M. Weierstrass communique à quelques amis, mais ne fait pas imprimer.

    Pourriez-vous me renseigner au sujet de la marche qu’a employée l’illustre géomètre pour démontrer ces deux théorèmes ? Car j’ai lieu de croire que celle que j’ai suivie est différente non pas quant au fond mais quant à la forme et au mode d’exposition.

    Pouriez vous me dire également si M. Weierstrass vous a communiqué des généralisations de ces deux théorèmes, pour le cas où au lieu d’une intégrale réductible aux fonctions elliptiques, on a \(\mu\) intégrales linéairement indépendantes réductibles au rang \(\mu\). (IML Poincaré 22)

    Dans sa réponse du 25 octobre, Kovalevskaia s’excuse de ne pas envoyer de réponses à ces questions de suite car elle ne dispose pas de ses archives. D’après Poincaré, elle ne lui a pas envoyé les démonstrations de Weierstrass :

    J’ai donné deux démonstrations différentes de ces propositions ; j’ignore encore si mes méthodes sont identiques à celles de M. Weierstrass. (1921, 80)

    Poincaré avait discuté de ces théorèmes de Weierstrass avec Picard puisque celui-ci avait obtenu un théorème analogue dans un cas particulier Picard (1881). Dans sa lettre adressée à Poincaré le 30 octobre 1884, Picard propose une note additive Picard (1884) à l’article de Poincaré :

    A la suite de notre conversation de l’autre jour, j’ai pris le Mémoire de Madame de Kowalevski pour avoir l’énoncé de Weierstrass.

    Le théorème que j’ai donné autrefois pour \(\rho = 2\) ne coïncide pas entièrement avec celui de Weierstrass, et pour ma tranquilité personnelle j’ai tenu à vérifier directement que de la forme de Weierstrass on pouvait passer à la mienne.

    Vous pouvez insérer les deux pages que je vous envoie dans notre Bulletin à la suite des démonstrations que vous donnez des théorèmes de Weierstrass. Dugac (1989, 201)

    Poincaré situe ses résultats sur cette question par rapport à ceux de Picard et Weierstrass dans l’analyse de ses travaux. Il poursuivra ses recherches dans une note aux Comptes rendus (1886a), (1934, 360–61) et un article à l’American Mathematical Journal (1886b), (1950, 318–78) :

    Le théorème de Weierstrass était plus général en un sens que le théorème de M. Picard sur le même sujet ; ce dernier ne s’appliquait en effet qu’à la réduction du genre 2 au genre 1 ; le géomètre allemand avait étudié la réduction d’un genre \(\rho\) quelconque au genre 1. D’autre part, le théorème de M. Picard contenait plus que celui de M. Weierstrass, car la réduction y était poussée plus loin. Etait-il possible de trouver une proposition qui contînt à la fois celle de M. Weierstrass et celle de M. Picard, c’est à dire de pousser dans le cas général la réduction aussi loin que ce dernier analyste ? L’application de ma seconde méthode m’a fait reconnaître que cela peut se faire sans difficulté. Poincaré (1921, 80–81)

  9. Voir lettres n°41, 42, 43 et 44.


Bölling, Reinhard. 1993. Briefwechsel zwischen Karl Weierstrass und Sofia Kowalewskaja. Berlin: Akademie Verlag.

Drach, Jules, ed. 1934. Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 3. Paris: Gauthier-Villars.

Dugac, Pierre. 1989. “Henri Poincaré, la correspondance avec des mathématiciens (de J à Z).” Cahiers Du Séminaire d’histoire Des Mathématiques 10: 83–229.

Koeningsberger, Leo. 1865. “Über die Transformation der Abelschen Functionen erster Ordnung.” Journal Für Die Reine Und Angewandte Mathematik 64: 17–42.

Kovalevskaia, Sofia Vasilievna. 1884. “Über die Reduction einer bestimmten Klasse Abel’scher Intergrale 3ten Ranges auf elliptische Intergrale.” Acta Mathematica 4: 393–414.

Picard, Emile. 1881. “Sur une classe d’intégrales abéliennes et sur certaines équations différentielles.” Comptes Rendus Hebdomadaires Des Séances de L’Académie Des Sciences de Paris 92: 398–402.

———. 1884. “Remarque sur la réduction des intégrales abéliennes aux intégrales aux intégrales elliptiques.” Bulletin de La Société Mathématique de France 12: 153–55.

Poincaré, Henri. 1884a. “Sur la réduction des intégrales abéliennes.” Bulletin de La Société Mathématique de France 12: 124–43.

———. 1884b. “Sur les courbes définies par les équations différentielles.” Comptes Rendus Hebdomadaires Des Séances de L’Académie Des Sciences de Paris 98 (5): 287–89.

———. 1885. “Sur un théorème de M. Fuchs.” Acta Mathematica 7 (1): 1–32.

———. 1886a. “Sur la réduction des intégrales abéliennes.” Comptes Rendus Hebdomadaires Des Séances de L’Académie Des Sciences de Paris 102: 915–16.

———. 1886b. “Sur les fonctions abéliennes.” American Journal of Mathematics 8 (4): 289–342.

———. 1921. “Analyse des travaux scientifiques de Henri Poincaré faite par lui-même.” Acta Mathematica 38: 1–135.

Valiron, Georges, ed. 1950. Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 4. Paris: Gauthier-Villars.

Titre
Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 30 octobre 1884
Incipit
Je vous ai adressé il y a quelques jours déjà un travail ...
Date
1884-10-30
Lieu
Paris
Sujet
Fonction Théta
Lieu d’archivage
Mittag-Leffler Institute
Type
fr Lettre autographe signée
Section (dans le livre)
45
Nombre de pages
2
Langue
fr
Publié sous la référence
CHP 1:45
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 30 Octobre 1884 ». La Correspondance Entre Henri Poincaré Et Gösta Mittag-Leffler. Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 23 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/6001