LettreHenri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 19 janvier 1902

19 Janvier 19021

Mon cher collègue,

J’ai l’honneur de vous envoyer sous pli recommandé mon travail sur les fonctions Abéliennes.2

Je n’ai pas encore pu faire refaire la photographie parce que nous n’avons eu que des jours sombres.

Votre bien dévoué collègue,

Poincaré

TSVP

P.S.

Je viens de recevoir votre lettre et je vous ai télégraphié. Cornu signera mon rapport mercredi. J’espère obtenir encore d’autres signatures. Je vous l’enverrai aussitôt.

Peut-être enverrai-je ma proposition signée seulement de Cornu et Lippmann. J’enverrai ensuite quelques jours après une adhésion portant d’autres signatures.3

 


 Apparat critique

  1. Paris-20 janvier — Djursholm-23 janvier.

  2. Poincaré (1902).

    Voir lettre n°176, note n°9.

  3. Poincaré choisira cette solution. Le rapport (de sa main) proposant Lorentz pour le prix Nobel de physique n’est signé à l’origine que par Poincaré, Cornu, Lippmann et Mittag-Leffler. Les adhésions à cette proposition de Sarrau, Cailletet, Boussinesq, Violle et Becquerel parviendront dans une lettre collective, rédigée par Poincaré.

    Nous adhérons à la proposition faite en faveur de M. le Professeur Lorentz pour le prix Nobel de Physique. (CHS)

    Pour Poincaré, un des problèmes majeurs de la physique était que la théorie de Maxwell ne permettait pas d’expliquer “pourquoi aucune expérience d’optique faite sur la terre ne pouvait mettre en évidence le mouvement de cette planète”. D’autre part, la théorie de Maxwell était aussi en échec pour expliquer les phénomènes de “polarisation rotatoire magnétique, découverte par Faraday”. Après avoir résumé la théorie de Lorentz sur les électrons, Poincaré pose la question de son intérêt ; l’important pour lui n’est pas de s’interroger sur la vérité d’une théorie mais sur sa capacité d’explication :

    Ce que vaut cette hypothèse en elle-même, nous n’en savons rien et nous n’en saurons jamais rien. Mais ce que nous devons nous demander, c’est si cette hypothèse s’est montrée féconde et utile, soit en permettant de coordonner les faits anciens, soit en en faisant prévoir de nouveaux. (Rapport présentant Lorentz pour le prix Nobel de Physique — CHS)

    Poincaré souligne que non seulement la théorie de Lorentz “explique tout ce qu’expliquait déjà celle de Maxwell” et en particulier “laisse subsister entre l’optique et l’électricité cette intime connexion découverte par l’illustre savant anglais”, mais qu’elle permet d’expliquer le phénomène de l’aberration et celui de l’entraînement de l’éther et des ondes par la matière en mouvement.

    Ce n’est pas l’éther qui est partiellement entraîné, ce sont les électrons et l’étude de la réaction mutuelle de l’éther en repos et des électrons en mouvement rend compte de toutes les particularités observées. Pourquoi par exemple, toutes les expériences tentées pour mettre en évidence le mouvement de la terre, ont-elles donné des résultats négatifs ? Il était évident qu’il y avait à cela une raison générale ; cette raison, M. Lorentz l’a découverte et il l’a mise sous une forme frappante par son ingénieuse invention du “temps réduit”. (Rapport présentant Lorentz pour le prix Nobel de Physique — CHS)

    De la même manière, la théorie de Lorentz explique naturellement la polarisation magnétique de Faraday. De plus, la théorie de Lorentz permet de prévoir “un phénomène que personne jusque là n’avait observé”, l’influence des champs magnétiques sur l’absorption et l’émission de la lumière. Prévision qui a reçu confirmation par les expériences de Zeeman.

    Poincaré termine par un plaidoyer en faveur des théories, ce qui montre qu’il était conscient des réticences du comité Nobel par rapport à la physique théorique.

    On accuse les théories d’être fragiles, et sans doute, si elles prétendaient nous révéler le fond des choses, la vue de tant de ruines suffirait pour nous rendre sceptiques. Mais, quand la théorie de Lorentz aura rejoint ses devancières dans ce vaste cimetière, est-ce que les faits qu’elle a prévu et que par là elle a fait découvrir ne subsisteront pas toujours ? Et si un jour elle venait à être abandonnée, combien se tromperaient ceux qui diraient, si elle a prévu des faits vrais, ce n’est que par hasard, puisqu’elle était fausse. Non, ce n’est pas par hasard, c’est parce qu’elle nous a révélé des rapports jusque là inconnus entre des faits en apparence étrangers les uns aux autres, et que ces rapports sont réels ; et qu’ils le seraient encore quand même les électrons n’existeraient pas. Voilà quelle sorte de vérités on peut espérer dans une théorie, et ces vérités lui survivront. (Rapport présentant Lorentz pour le prix Nobel de Physique — CHS)


Références

Poincaré, Henri. 1902. “Sur les fonctions abéliennes.” Acta Mathematica 26: 43–98.

Titre
Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 19 janvier 1902
Incipit
J'ai l'honneur de vous envoyer sous pli recommandé mon travail ...
Date
1902-01-19
Lieu
Paris
Sujet
Prix Nobel Physique – 1902
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe signée
Section (dans le livre)
186
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
2
Langue
fr
Publié sous la référence
CHP 1:186
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 19 Janvier 1902 ». La Correspondance Entre Henri Poincaré Et Gösta Mittag-Leffler. Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 24 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/Correspondance/item/6633