LettreBecquerel à Poincaré, 1902-10-31

2-4-9. Henri Becquerel to H. Poincaré

31 octobre 1902

Mon cher ami,

Tu dois avoir été mis au courant de la discussion qui a eu lieu dans notre dernier Conseil d’instruction à l’École Polytechnique.11Il s’agit de choisir un successeur à Alfred Cornu dans la chaire de physique; voir la correspondance avec Emmanuel Carvallo, examinateur de mécanique à l’École polytechnique. Le conseil d’instruction rassemblait les enseignants de l’École polytechnique; il organisa l’enseignement, choisit les professeurs et les examinateurs, et imposa presque toujours ses décisions au conseil de perfectionnement. Son fonctionnement est décrit par Belhoste (1994). Plus j’y réfléchis, plus je vois la légèreté avec laquelle Carvallo subordonne toutes ses idées à la vérification d’une formule, et ce qui me paraît le plus grave c’est la confiance illimitée qu’il a en lui-même. Si tu as jeté un coup d’œil sur son opuscule de la Scientia, tu as du voir que ce qu’il dit à la p. 13 de deux courants parallèles est faux. L’expérience décrite page 20 n’est pas réalisable en raison de la rapidité des phénomènes, et des étincelles aux points de rupture, et tu te souviens que Mr Potier nous a fait remarquer que l’auteur n’avait pas pensé à faire de distinction dans les phénomènes d’induction, entre les vitesses relatives des conducteurs et les vitesses absolues.22Carvallo 1902. Alfred Liénard (1902) publia une critique semblable à celle de Potier à propos des vues de Carvallo sur l’électrodynamique des corps en mouvement.

Il serait bien désirable que l’on put lire au Conseil de perfectionnement le rapport fait par Mr Potier. Tu pourrais peut-être en demander la lecture.

Mardi dernier à 2h en entrant à la séance du Conseil de l’École j’ai trouvé Carvallo à la porte causant avec le Commandant. Je lui ai exprimé mes regrets d’avoir à combattre ses idées. Il m’a répondu assez vivement qu’il se défendrait, qu’il était dans la vérité absolue, qu’il était prêt à faire le cours, et que du reste le cours de Potier (c’est-à-dire le mien) ne tenait pas debout. La raison qu’il en donne est qu’il n’existe pas de potentiel électrostatique parce que l’énergie se dégrade à l’intérieur des corps ! Je lui ai montré l’expérience de la p. 20 de son opuscule. Il m’a répondu l’avoir prise dans le Cours de Cornu. En tous cas il l’a fait sans y réfléchir, et comme je lui disais que les inexactitudes que nous avions relevées dans ses feuilles lithographiées, venaient sans doute de ce qu’il les avait rédigées bien vite (je te conseille de lire ce qui est relatif à la loi de Ohm et de Joule, et à la thermoélectricité) il m’a répondu que bien au contraire il avait longuement médité sur tout ce qu’il avait écrit; et cela me paraît bien plus grave.

Si tu as eu le loisir de feuilleter les feuilles de mon cours et si tu y as vu quelques fautes de raisonnement, ce qui est bien possible, je te serai bien reconnaissant de me les signaler. Cependant je pense que Mr Potier qui lit les feuilles au moment des examens, aurait vu les fautes autres que les coquilles du copiste, et me les aurait signalées.

Si le Conseil de perfectionnement maintenait Carvallo sur la liste, même en 2e ligne, il serait nommé, bien vraisemblablement, et je crains que ce ne soit un malheur pour l’enseignement de la Physique à l’École, au moins pour le moment, car s’il veut apprendre tout ce qu’il ne sait pas, comme il est très bon professeur, il peut plus tard faire un très bon cours.

Le Mémoire de Mr Abraham de Göttingen, Prinzipien der Dynamik des Elektrons — se trouve dans le Physikalische Zeitschrift — 4 Jahrgang N° 16 — Seite 57–63, et fait suite à une communication de Mr Kaufmann sur la masse électromagnétique des électrons.33Abraham 1903; Kaufmann 1903. Ancien doctorant de Max Planck, Max Abraham (1875–1922) fut Privatdozent de physique mathématique de 1900 à 1909 à l’Université de Göttingen. Walter Kaufmann (1871–1947) fut Privatdozent de physique à Göttingen jusqu’en 1903, année de sa nomination à l’Université de Bonn (Pyenson 1973).

Je reste à Paris Dimanche et je serai bien aise de causer avec toi lundi à l’Institut.

Bien à toi, Ton vieil ami

Henri Becquerel

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Références

Titre
Becquerel à Poincaré, 1902-10-31
Incipit
Tu dois avoir été mis au courant ...
Date
1902-10-31
Adresse
Paris
Chapitre
Henri Becquerel
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe signée
Section (dans le livre)
9
Identifiant dans les archives locales
CD n° 146
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
4
Langue
fr
Licence
CC BY-ND 4.0

« Becquerel à Poincaré, 1902-10-31 ». La Correspondance Entre Henri Poincaré Et Les Physiciens, Chimistes Et ingénieurs. Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 16 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/11417