RapportH. Poincaré et P. Appell, Rapport sur la thèse de Véronnet



H. Poincaré et P. Appell, Rapport sur la thèse de Véronnet

Paris, 14 janvier 1912

Ministère de l’Instruction Publique

Faculté des sciences de l’Université de Paris

Doctorat ès sciences Mathématiques – 12 Novembre 1912 – M. Veronnet

Membres du Jury MM. P. Appell H. Andoyer Puiseux

Rapport sur la Thèse de M. Véronnet Alexandre

«  Rotation de l’ellipsoïde héterogène et figure exacte de la Terre  ».

M. Véronnet a repris l’étude de l’équation de Clairaut et de la figure des planètes.11Il s’agit d’un rapport avant soutenance; la soutenance aura lieu le 12 novembre 1912 à la Faculté des sciences de Paris devant un jury composé de Paul Appell, Henri Andoyer, et Pierre Puiseux (Véronnet 1912a). Il commence par étudier le cas où les couches homogènes consécutives ont la forme d’ellipsoïdes ; on sait que M. Hamy a démontré que ce cas ne peut pas se présenter si la vitesse de rotation est supposée uniforme, mais M. Véronnet cherche comment cette vitesse doit varier d’une couche à l’autre ou encore en latitude pour que ces couches affectent la forme ellipsoïdale ; il est ainsi conduit à une équation différentielle à laquelle cette vitesse doit satisfaire, et non seulement il retrouve les résultats de M. Hamy, mais il montre que l’aplatissement va toujours en croissant du centre à la surface.22Maurice Hamy (1861–1936), astronome à l’Observatoire de Paris. Il applique ensuite ses résultats au cas des ellipsoïdes de révolution et trouve ainsi les limites de la vitesse et de l’aplatissement. Ces résultats ne sont pas directement applicables aux cas naturels, puisque les inégalités de la vitesse de rotation seraient promptement réduite par le frottement. Mais comme les couches s’écartent peu en réalité de la forme ellipsoïdale, on peut en tirer des indications sur le sens dans lequel elles s’écartent et sur l’ordre de grandeur des écarts.

L’auteur se restreint ensuite au cas où la vitesse est uniforme et l’aplatissement faible, c’est-à-dire au problème de Clairaut. Des résultats, pour la plupart déjà connus sont retrouvés par une autre voie.

On sait que M. Radau et à sa suite d’autres savants ont établi que la constante observée de la précession n’est pas compatible avec tous les aplatissements, et que les seuls aplatissements possibles sont compris de ce fait entre des limites assez étroites. M. Véronnet reprend cette question et l’approfondit. Il commence par établir certaines relations entre les données astronomiques de la vitesse de rotation superficielle, des moments d’inertie et de l’aplatissement superficiel. Ces relations resteraient vraies si la vitesse de rotation variait en profondeur, mais quand on y introduit, par le moyen de l’équation de Clairaut, la condition de l’uniformité de cette vitesse, elle nous fournit des données importantes sur l’aplatissement ; on trouve en effet

297,097<1e<297,392.

On trouve ainsi par le calcul des limites plus précises que celles que pourrait donner l’observation directe. Le résultat est d’ailleurs confirmé par l’étude des diverses lois de densité proposées jusqu’ici.

Cette précision cependant pourrait n’être qu’illusoire ; les calculs sont faits en effet en négligeant le carré de l’aplatissement et la différence entre les deux limites trouvées

1297,097-1297,392

est de l’ordre de ce carré.

M. Véronnet a donc cru devoir, et c’est là qu’il a été le plus original, poursuivre ses calculs en tenant compte du carré de l’aplatissement. M. Callandreau avait déjà trouvé à ce sujet des résultats intéressants ; il avait montré que si l’on tient compte de ces termes, l’ellipsoïde est légèrement creusé dans ses parallèles moyens. M. Véronnet poursuit cette recherche par la méthode qui lui est propre ; il suppose d’abord que les surfaces sont réellement ellipsoïdales, mais que la vitesse est variable, il trouve qu’il faut que cette vitesse aille en croissant de l’équateur au pôle suivant une certaine loi, et il trouve en tenant compte de cette loi, une équation analogue à l’équation de Clairaut. Mais ce n’est pas le cas de la nature, les vitesses sont uniformes, les surfaces de niveau ne sont pas ellipsoïdales ; on voit que la dépression en un point d’une de ces couches est donnée par la formule.

aγλ4sin2θcos2θ

et la variation de potentiel dûe à cette dépression peut être avec une approximation suffisante représentée par le potentiel d’une couche sphérique de densité variable. Il est aisé de calculer le coefficient γ qui satisfait à une équation intégrale analogue à l’équation de Clairaut sous sa forme primitive ; l’ensemble des termes qui contiennent γ pourrait s’obtenir en effet en remplaçant λ2 par γλ4 dans le premier membre de l’équation de Clairaut. Ce qui doit nous intéresser dans la discussion qui suit, c’est que l’auteur a pu donner pour cette dépression des limites plus étroites que celle qu’avait donnée M. Callandreau. La même analyse conduit pour les limites de l’aplatissement aux inégalités

296,63<1e<297,22

peu différentes de celles que donnaient la première approximation.

Le Chapitre VI est consacré à l’étude des diverses hypothèses particulières, celle où la Terre se serait solidifiée d’un seul coup en tournant avec une vitesse uniforme, mais différente de la vitesse actuelle ; celle où elle se serait solidifiée progressivement, sa vitesse étant variable en profondeur. (En admettant l’aplatissement de Clarke l’auteur qu’on ne pourrait rendre compte des faits qu’en supposant que la solidification a commencé par le centre et que la vitesse superficielle a été en s’accélérant avec le temps) ; celle où la Terre serait encore fluide à l’intérieur et où la vitesse de rotation des couches internes serait encore variable en profondeur, ce qui amènerait une modification de la constante de la précession ; celle où l’écorce aurait une rotation plus lente que le noyau fluide par suite du frottement des marées ; enfin diverses hypothèses supposant l’existence d’un anneau fluide et où on a voulu chercher l’explication de la périodicité des tremblements de Terre. De cette discussion assez curieuse se dégage l’impression que l’hypothèse simple de Clairaut reste encore la plus vraisemblable.

Dans les deux derniers chapitres, M. Véronnet donne des calculs numériques complets, soit en négligeant le carré de l’aplatissement, soit en tenant compte, pour diverses lois de densité et en particulier pour celle qui a été proposée par Lipschitz.

Le travail de M. Véronnet est fait avec le plus grand soin, il contient des résultats fort intéressants, il est une œuvre bien personnelle, et nous sommes d’avis qu’il y a lieu d’autoriser l’impression et la soutenance de cette thèse.33Le travail de Véronnet fut publié dans le Journal de mathématiques pures et appliquée (Véronnet 1912b).

Poincaré

M. Véronnet a fait preuve, à la soutenance, de connaissances étendues et solides, et de grandes qualités de professeur. Le Jury lui a conféré le grade de Docteur avec mention très honorable.

Le Président

P. Appell

ADS 4p. AJ/16/5541, Archives nationales françaises.

Références

Titre
H. Poincaré et P. Appell, Rapport sur la thèse de Véronnet
Incipit
M. Véronnet a repris l'étude de l'équation de Clairaut ...
Date
1912-01-14
Cote (dans les archives)
AJ/16/5541
Type
ADS
Langue
fr