LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - 1 août 1878

Christiania 1er Août [1878]

En arrivant ici j’ai trouvé une correspondance énorme ; d’abord les excellentes nouvelles contenues dans vos dernières lettres (je n’ai pas besoin d’insister car vous devez savoir tous combien j’aime et j’estime my future brother in law1) ; puis deux lettres de Bonnefoy et une de Balthasar dont je vais parler longuement tout à l’heure ; enfin une lettre de Gerimont qui ne peut pas renier sa nationalité car il est franchement Belge2. C’était pour m’envoyer la fameuse lettre de Vigsnoes, qui a bien failli ne pas m’arriver ; car au lieu de l’adresser poste restante, il l’avait adressée à un hôtel où je n’étais pas ; les employés des postes ont heureusement montré de l’intelligence.

J’ai beaucoup de choses à dire, je vais procéder avec ordre : 1° question Bonnefoy-Balthasar. Bonnefoy m’a laissé à l’hôtel Victoria deux lettres ; la 1ère datée du 23 me dit qu’il part pour Bamle3, sur la côte Sud de la Norvège (son mémoire) ; la 2de est datée du 29, il me dit qu’il est revenu de Bamle comptant me trouver à Christiania et que ne me trouvant pas, il part pour Kongsberg (ce que je savais déjà par le docteur en droit, comme je te l’ai dit) que j’aille à Kongsberg le plus tôt possible et que si je ne le trouve pas on me dira où il est. Ne commence pas par t’indigner contre cette nouvelle fugue. Il a eu raison de quitter Christiania pour ne pas y passer huit jours inutilement ; mais il a eu tort : 1° de ne pas aller plus tôt de Bamle à Kragerø et Arendal4 quoiqu’il dise qu’il a pris cette détermination par suite d’une étude approfondie de la question. 2° s’il n’allait pas à Kragerø de ne pas aller à Modum ou à Skjoerdalen5. En effet Kragerø, Arendal, Modum et Skjoerdalen se rapportent plus particulièrement à ses mémoires, Kongsberg au mien. 3° de ne pas m’indiquer ses intentions d’une façon plus précise. Voici la détermination que j’ai prise. Je partirai demain à 6 h 30 pour Kongsberg, j’y reprendrai le train à 12 h et je le rejoindrai le soir, où il sera. Seulement s’il n’a rien laissé à l’hôtel Skandin. Et s’il a dit la chose à M. Andersen je n’aurais peut-être pas le temps de reprendre le train.

2° Question Balthasar6. Il m’écrit qu’il est arrivé à Stockholm le 25 au matin, il me conseille d’y aller tout de suite et de faire ensemble une tournée en Suède pour retourner ensuite ensemble en Norvège ; que si je n’y consens pas nous nous rejoindrons à Christiania du 5 au 10 août. Je ne sais que lui répondre ; car tant que je n’ai pas vu Bonnefoy, il m’est difficile de préciser mes intentions. Nous serons sans doute obligés de correspondre télégraphiquement.

3° question papa. Je cherche un moyen de faire voir à papa des montagnes norvégiennes et je n’en trouve guère7. Les plus rapprochées sont le Télémark oriental avec le Rjukandfoss8. – et le Krogkleven dans le Ringerike9 dont la fille du ministre de la justice parle avec grand éloge mais voici le temps qu’il faudrait pour voir l’une ou l’autre.

1° Télémark. Départ de Christiania à 6 h 30 à Kongsberg 11 h 12 – etc – 3 jours environ.

2° Krogkleven (mais je suis un peu sceptique à son endroit) je pense 2 jours. Je crois que c’est une ascension d’où on a une vue sur une vallée et sur un lac. Il y a aussi le Honefos10 qu’on peut facilement voir en 1 jour ; cette cascade a une grande réputation mais hier il n’y avait pas d’eau et elle ne la méritait guère. Le chemin jusqu’à Honefos n’est pas très beau.

Ceci posé, je pense que l’itinéraire à suivre est le suivant. Cologne – Hambourg – Copenhague – Malmø – Stockholm – de Stockholm à Götheborg par le canal de Gotha ; de Götheborg à Christiania par mer ou par chemin de fer. Discutons d’abord la durée. En s’arrêtant 2 h à Copenhague, partant de Nancy le 1er au matin, on ne serait à Stockholm le 5 au matin qu’à la condition de passer 3 nuits sur 4 en chemin de fer ce que je ne saurais conseiller ; pourtant on pourrait passer la 1ère nuit en chemin de fer, la 2de en bateau (Lübeck à Copenhague), la 3e dans son lit, la 4e en chemin de fer. En voyageant de jour on peut : ou bien partir de Nancy le 1er matin, coucher à Cologne – être à Hambourg le 2 au soir en repartir le 3 au matin être à Copenh. le 3 au soir en repartir le 5 au matin ––––– Stockh. le 6 au matin (une seule nuit en chemin de fer) ou bien Nancy 1er matin, Hambourg 2 matin départ 3 matin – rest comme supra – (deux nuits en chemin de fer mais 24 heures à Hambourg ; au lieu de de 8 h 20 soir fin à 6 h du matin. On peut choisir entre ces deux combinaisons.

Si départ de À Hambourg se promener dans la vieille ville et sur l’Alsterdamm ; monter sur l’Elbhöhe (vue sur le port et l’Elbe) si papa arrive le matin et passe assez de temps à Hambourg) nota bene 3e combinaison Nancy 1er matin coucher Cologne – Hambourg le 2 au soir ; repartir le 3 au soir – à Copenhague 4 au matin ; en repartir le 5 au matin reste comme supra (une nuit en chemin de fer, et une en bateau ; mais on a le temps de monter sur l’Elbhøhe). Faire attention qu’à Hambourg il y a plusieurs gares et que la consigne ne s’ouvre qu’à 7 heures du matin. Départs de Hambourg pour Copenhague à 6 h du matin par le Sleswig ; à Copenh. 10 h 30 du soir à 5 h 55 du soir par le Sleswig ou par bateau (Kiel à Korsør) Copenh. 10 h 40 du matin, ou bien chemin de fer midi à 4 h Lübeck. 11 heures à Lübeck nuit en bateau ; à Copenhague 10 ou 11 heures matin.

 


  1. Poincaré fait allusion à l’annonce des fiançailles tant attendues de sa sœur avec Émile Boutroux. Le couple devait se marier le 9 octobre 1878. Voir [A. Boutroux 2012, chap. XXVIII].

  2. Voir la lettre 305.↩

  3. Bamble – ou anciennement Bamle – est une petite localité située au sud ouest d’Oslo, à environ 170 kilomètres en suivant la côte. Ce lieu était connu pour ses gisements d’apatite. C’est la Compagnie française des mines qui avait commencé leur exploitation en 1872.

  4. Kragerø et Arendal se situent plus loin au sud ouest de Bamble en suivant la côte.

  5. Modum se situe à environ 180 kilomètres au nord de Bamble et à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Oslo. Il existe plusieurs localités du nom de Skjaerdalen – Poincaré semble d’ailleurs écrire Skjoerdalen – mais la plus proche de Modum se trouve à quelques dizaines de kilomètres au nord. Modum possédait des mines de cobalt et de cuivre. Elles étaient exploitées depuis la seconde moitié du 18e siècle.

  6. Balthazar Mathis.

  7. Émile-Léon Poincaré était un très grand amateur de voyages et Poincaré décrit ici plusieurs trajets alternatifs qui auraient pu lui permettre de faire quelques promenades dans les montagnes norvégiennes lors d’un séjour à Oslo. Finalement ce voyage fort bien planifié ne devait pas se faire (voir les lettres suivantes).

  8. Le Rjukanfossen est une cascade d’environ 250 mètres de hauteur située dans le comté de Telemark, non loin de la commune de Rjukan. Appelée la cascade fumante elle était, au 19e siècle, une des grandes attractions touristique du pays.

  9. Le Krokkleiva – appelé auparavant le Krog Kleven – est une faille rocheuse remarquable située non loin de Kroksund, à une quarantaine de kilomètres au nord ouest d’Oslo. On y trouve notamment un trou d’origine naturelle dans la montagne. Il s’agissait d’une destination touristique ancienne dans la mesure où il était sur l’ancienne route de pélerinage entre Oslo et Trondheim.

  10. La cascade d’Hønefossen est située à une vingtaine de kilomètres au nord du Krokkleiva.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 1 août 1878
Incipit
En arrivant ici j'ai trouvé ...
Date
1878-08-01
Identifiant
L0308
Adresse
Nancy
Sujet
fr Voyage d’étude en Norvège et en Suède (1878)
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
6
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
4
Numéro
308
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 1 août 1878 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 25 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/13946