LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - août 1874

[Début août 1874]

Ma chère maman,

Nous avons une consigne générale dans mon caser pour demain et nous aurons peut-être une consigne générale pour la promoss [promotion] parce qu’on a recommencé le coup des zincs1. Il est donc possible que je ne sorte pas demain de toute la journée. Cependant je n’en sais encore rien, parce que le coup des consignes générales n’a pas très bien réussi la première fois. Je ne sais encore qu’écrire à Versailles2.

Quel est tout ce bafouillage d’Aline relativement aux exams. Mon premier exam était en Ana [Analyse] et c’est le seul dont la note m’intéresse. L’exam de Protch3 n’a pas d’influence sur le classement ; j’ai eu 13 ou 18 ; il m’est impossible de déterminer lequel des deux ; c’est tout aussi probable l’un que l’autre. De plus ce n’est pas le colonel qui le fait passer comme vous avez l’air de le croire, c’est un capitaine. Je n’ai pas pu voir ma note en Ana parce qu’on ne l’a pas marquée devant moi et qu’on ne l’a pas encore remise chez Bonnet. Je pense plutôt avoir 20 [ou] 19, malgré l’absence de gigon. Mais je ne pourrai avoir ma note qu’avec les plus grandes difficultés. À propos, j’ai découvert une chose en tripotant dans les topos envoyés chez Bonnet par le ministère ; j’ai trouvé parmi les candidats M. Jacquin de Margerie (Antonin)4 Meurthe et Moselle.

J’ai écrit à Paul Xardel hier ou avant-hier pour lui donner une poignée de main au sujet de son admissibilité5. Jusqu’à présent rien de nouveau ; je ne sais pas encore si nous aurons une consigne cependant cela devient de moins en moins probable.

Aline est-elle bête de chiader de la philosophie allemande et surtout de s’imaginer que l’auteur y avait compris quelque-chose lui-même ; moi, l’impression qu’éveillent dans mon âme trois pages quelconques de philosophie allemande c’est que l’auteur est un poseur et un bafouilleur. J’ai reçu mercredi mes cartes de visite mercredi dernier6.

 


  1. Voir la lettre 71

  2. Poincaré veut sans doute parler de ses visites habituelles dans la famille Rinck.

  3. Félix Aimé Protche.

  4. Antonin Jacquin de Margerie devait entrer à l’École polytechnique à la rentrée 1874 avec le 73e rang.  Il était le fils du philosophe Amédée Jacquin de Margerie. Formé à l’École normale supérieure (promotion 1845) et agrégé (1847), ce dernier avait enseigné la philosophie dans divers lycées de province avant d’être nommé professeur à la Faculté des lettres de Nancy en 1856. « Catholique avant tout », il fut très actif au sein des cercles catholiques d’ouvriers. Adversaire du libéralisme et du gallicanisme, il s’impliqua également activement dans le camp légitimiste à partir de 1873 en soutenant le Comte de Chambord et le parti de la restauration de la monarchie. La loi Wallon du 12 juillet 1875 avait instauré la liberté de l’enseignement supérieur et donc autorisé la création de facultés privées. Sollicité pour participer à la fondation de la Faculté catholique de Lille, Amédée Jacquin de Margerie devait envoyer sa lettre de démission au recteur le 24 août 1876. Il fut alors remplacé à la Faculté des lettres de Nancy par Émile Boutroux, futur mari de la sœur de Poincaré. Il occupa ensuite les fonctions de doyen de la Faculté catholique de Lille jusqu’à sa retraite et il fut l’un des organisateurs des congrès scientifiques internationaux des catholiques (1888, 1891, 1893). Parmi une production abondante, on mentionnera De la famille, leçons de philosophie morale [A. Jacquin de Margerie 1860], Théodicée : études sur Dieu, la Création et la Providence, [A. Jacquin de Margerie 1865], un manuel de philosophie contemporaine [A. Jacquin de Margerie 1870] ainsi qu’un grand nombre d’ouvrages d’inspiration politique qui devaient connaître un succès certain dans les milieux monarchistes : La restauration de la France [A. Jacquin de Margerie 1871], La solution [A. Jacquin de Margerie 1880], Avant le combat [A. Jacquin de Margerie 1881], etc. D’un point de vue philosophique, Jacquin de Margerie était proche des courants spiritualistes représentés par Elme Caro ou Léon Ollé-Laprune ; il était de plus influencé par les doctrines thomistes, opposé au darwinisme [A. Jacquin de Margerie 1864a] et au scepticisme kantien [A. Jacquin de Margerie 1864b]. Il dirigea la revue catholique La quinzaine : revue littéraire, artistique et scientifique de 1894 à 1907. De Margerie évoluait dans les mêmes cercles académiques et politiques que le père de Poincaré et les deux familles se connaissaient bien. C’était une personnalité bien connue de la vie nancéienne : comme Léon Poincaré, de Margerie était membre du conseil municipal et de l’Académie de Stanislas. Élu dans cette société en 1857, il était le seul à y intervenir activement en tant que philosophe. Son fils Antonin avait par ailleurs le même âge que la sœur de Poincaré. Malgré cette proximité, les deux familles n’étaient cependant pas amies, probablement pour des raisons de positionnement politique. C’est particulièrement visible dans les souvenirs d’Aline Boutroux [A. Boutroux 2012] ou dans les rares commentaires que fait Poincaré dans ses lettres au sujet de son conscrit, vite placé en quarantaine en raison de ses convictions religieuses. Pour plus de détails sur le départ d’Amédée Jacquin de Margerie vers la Faculté catholique de Lille en 1876, voir le dossier 1 T 1277 aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle.

  5. Paul Xardel devait intégrer l’École militaire de Saint-Cyr en 1874.

  6. La répétition est de Poincaré.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - août 1874
Incipit
Nous avons une consigne générale dans mon caser pour demain ...
Date
1874-08
Identifiant
L0088
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Colles et examens (polytechnique)
fr Chahuts étudiants
fr Visites familiales et amicales
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
2
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
2
Mots d'argot polytechnicien cités dans l'apparat
Quarantaine
Numéro
088
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - août 1874 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 18 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/13948