LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - décembre 1875

[Décembre 1875]

Ma chère Maman,

Tu ne connais pas Faure ? Quant à Noël je vous avais demandé de vous décider, vous n’avez pas répondu. Puisqu’il en est ainsi je viens à Noël pour me débarrasser de toutes les scies1 inséparables du jour de l’An. D’ailleurs comme tu dois venir le 15 janvier, cela vaudra mieux. À propos t’ai-je dit que j’ai été voir deux appartements. Ils ne me conviennent ni l’un, ni l’autre c’est-à-dire que j’aime ; l’un était rue Soufflot N°1, l’autre au coin de la rue de Vaugirard et de la rue Madame. Mercredi j’ai dîné chez Mme Olleris. En sortant, impossible de voir à deux pas. De temps en temps on rencontrait des torches qui ne servaient absolument à rien. Mais il y avait des amphis de fumistes qui avaient des lanternes vénitiennes et même des conscrits se promenaient en bandes avec un cocon éclaireur en avant. C’est grâce à ces fumistes que j’ai traversé le Boul Mich [boulevard Saint-Michel]. Mais de l’autre côté, la difficulté était de trouver le kiosque pour avoir le résultat de la bataille du jour après les résultats indécis de la veille. J’y parvins pourtant et désormais aucun obstacle n’arrêtera plus ma marche.

Je ne t’ai pas achevé mes impressions sur l’Op [opéra]. J’y rencontrai Villiet2 ; je changeai de fauteuil avec son voisin. L’escalier me parut moins gigantesque que la première fois ; c’est qu’en effet il faut descendre à la fontaine pour en juger l’effet. De là les glaces qui sont près du foyer font une perspec. [perspective] à l’infini. Le foyer est décidément trop doré ; les fumoirs seuls sont épatants. Quant à la salle, elle était beaucoup mieux éclairée. Tant que nous sommes sur les splendeurs scéniques ; il faut que je te cite le ballet du second acte, précédé d’un changement à vue, qui fait passer d’un jardin sombre à un immense palais, où tout le corps de ballet est réuni. Pendant le ballet, ils jouent des tas de choses gigonnaires, entre autre, la Marche Turque, comme ils jouent le menuet de Mozart pour une ouverture d’acte. Il y a même dans le dernier acte un bout d’air des Noces de Figaro ; je ne sais pas s’ils l’ont gigonné. Les types sont bien plus épatants que les types de l’Op. com [Opéra comique]. Faure a un talent tout à fait supérieur on voit qu’il a l’habitude de chanter sur la scène. Krauss a une voix splendide ; elle remplit toute la salle. Les accents dans le 1er acte, principlt [principalement]. Je l’ai même mieux aimée que Miolhan (il est vrai que celle-ci a un rôle plus insignifiant sauf son duo avec Faure, qui est splendide, mais où Faure a le principal rôle) Elle faisait la paysanne, Krauss la fille du commandeur. Quant à la musique en elle-même, elle fait énormément de plaisir sur le moment, mais il en reste peu de chose parce que c’est surtout de la musique d’ensemble.

Tu ne m’as dit pourquoi le centre droit et M. Burnouf auxquels nous adjoindrons si tu veux Mme [1 nom illisible] seraient très inférieurs dans une cristallerie.

À propos sais-tu si l’histoire d’Antonin et M. de la Serve3 est authentique.

 


  1. Scie : terme d’argot renvoyant aux ennuis et à la rengaine.

  2. Paul Victor Villiet.

  3. Il est difficile de déterminer à quel événement Poincaré fait référence. On pourrait supposer qu’il est question ici de l’industriel Alexandre Robinet de la Serve.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - décembre 1875
Incipit
Tu ne connais pas Faure ?
Date
1875-12
Identifiant
L1875-12g-HP_EP
Sujet
fr Visites familiales et amicales
fr Théâtre et opéra
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
3
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
3
Numéro
225
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - décembre 1875 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 18 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/15187