LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - décembre 1875

[Décembre 1875]

Ma chère maman,

Si je t’ai envoyé une lettre sans timbre c’est que je n’ai mis ma lettre à la poste qu’en sortant de l’Anglais un peu après 5 h. Il fallait la mettre tout de suite. Mon feu va bien ; il ne fume plus comme au commencement. J’ai partagé les macarons ; je n’ai lu ta lettre qu’à cette occasion parce que je n’avais pas ouvert la boîte croyant qu’il n’y avait que des bottines.

Je ne demande pas mieux qu’on organise quelque chose ; maintenant vaut-il mieux venir à Noël ou au Nouvel An je n’en sais rien. Peut-être le Nouvel An couperait-il mieux l’année. Enfin vous me direz ça.

J’ai été ce matin chez M. Daubrée ; il a été très gentil ; il m’a dit comme à l’oncle Antoni qu’il ne me conseillait pas de travailler les math [mathématiques] avant d’être sorti de l’École1. Il paraît que Bonnet lui avait demandé de me dispenser de suivre certains amphis pour que je puisse aller aux cours de la Sorbonne. Il m’a dit qu’il avait dû lui refuser ; je lui ai répondu que je comprenais parfaitement.

Samedi j’ai été dîner chez Mme Olleris avec l’oncle Antoni, et les Leblond. Après, l’oncle Antoni m’a conduit dans la lune2 où j’ai appris le troisième four3 du centre droit.

Il est plus nul qu’Orphée à tous les points de vue. Ce qu’il y a de chic c’est le ballet de la neige et l’éruption. À propos tu sais que la lune est sise square des Arts et Métiers. Hier j’ai été dîner chez Madame Malgaigne. Ce soir l’oncle Antoni nous a emmenés au Bœuf à la Mode4 avec Madame Olleris, Monsieur Chardin, et un jeune homme que je suppose être M. Marmod (?) et qui a dit que ce n’était pas aux Français qu’on jouait Mlle de la Seiglière, mais à la Comédie Française, qu’il n’en était pas sûr mais qu’il le croyait bien5. Il nous a emmenés après dîner à un cercle catholique dont il fait partie et où on joue de la musique tous les dimanches soir et où il y a une claque insensée.

Pourquoi, si M. Burnouf6 et le centre droit voulaient diriger une cristallerie, ne seraient-il pas à la hauteur de la civilisation moderne.

 


  1. Ce court passage fait référence à la volonté de Poincaré de passer sa licence de mathématiques, parallèlement à ses études d’ingénieur des mines. Plusieurs lettres ultérieures font référence aux examens de la licence.

  2. Le voyage dans la Lune était un opéra-féérie en 4 actes et 23 tableaux composé par Jacques Offenbach et inspiré de l’œuvre de Jules Verne. Il avait été créé au théâtre de la Gaîté en octobre 1875. Ce spectacle très ambitieux utilisait de nombreux effets spéciaux et proposait au public des costumes (plus de 600) et des décors impressionnants (Observatoire de Paris, haut-fourneau, volcan, paysage lunaire).

  3. Four : échec.

  4. Le Bœuf à la Mode était un restaurant très prisé situé rue de Valois. Souvent cité dans la littérature du 19e siècle (par exemple chez Balzac), il proposait une cuisine provençale. C’était aussi le premier restaurant à la carte à avoir été créé à Paris.

  5. Georges Marmod était sans doute un camarade d’étude de Raymond Poincaré. Il devait soutenir une thèse de doctorat de droit à Paris en 1884 [G. Marmod 1884]. Il s’agit là d’un trait d’humour de Poincaré, Marmod ignorant sans doute que ces deux dénominations renvoient au même théâtre.

  6. Émile Burnouf avait été professeur de lettres anciennes à la Faculté des lettres de Nancy dans les années 1860.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - décembre 1875
Incipit
Si je t'ai envoyé une lettre sans timbre ...
Date
1875-12
Identifiant
L0223
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Visites familiales et amicales
fr Théâtre et opéra
fr Affaires diverses (mines)
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
3
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
3
Mots d'argot polytechnicien cités
Amphi
Claque (la)
Numéro
223
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - décembre 1875 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 23 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/3659