LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - février 1877
[Février 18771]
Rien de neuf
Le quatrième enfin pourquoi si jeune encor,
Quand ses ailes ont pris un mâle essor,
Déjà d’un jeu savant goûte-t-il les délices.
Ah, reconnaissez là les qualités propices
Qui feront de Gonzalve2 un employé parfait :
Quand dans une soirée un supérieur chauve
Dira « faisons un mort3 » de son ton de guimauve,
Il sera tout de suite au courant de son fait
Et ne baillera pas en regardant sans-cesse
L’autre salon ; où bruit la danse qu’il délaisse.
Le rond de cuir4 le jour, le tapis vert le soir5,
C’est ce qu’il doit aimer, comme tu peux savoir
Et qu’il doit être heureux qu’un naturel facile
Lui fasse aimer cela comme probablement
Tilleur*, il eût aimé quelque belle jument sur un cheval ardent
Courant par la forêt se faire de la bile
« Que je serais heureux si, loin de ma patrie,
Du sort dont m’exile la loi
J’entendais le doux son de quelque voix amie
Me dire on pense encore à toi ».
Je me disais cela, quand de grelots en cuivre
J’entendis un gai cliquetis6
C’en est fait ; maintenant ce petit bruit délivre
Mon âme de tous ses soucis.
Ma pensée à ce bruit s’envole
Vers l’aimable personne à qui je dois ce don
De l’exil mon cœur se console
De cette voix amie en entendant le son.
(Voir dans le prochain numéro, réflexions sur la graphologie).
-
Il s’agit de la suite de la lettre précédente.↩
-
Allusion au whist : faire le mort, consiste à jouer à trois personnes en découvrant le jeu d’un quatrième partenaire imaginaire.↩
-
Rond de cuir : employé de bureau. Cette expression est généralement plutôt péjorative.↩
-
Poincaré fait ici référence au choix de carrière de son ami Gonzalve Olleris. Après sa sortie de l’École polytechnique, en 1876, il avait démissionné pour aller travailler dans les services de comptabilité des Chemins de fer de l’État. ↩
-
On a de nombreuses preuves de la grande distraction de Poincaré. Il fait ici allusion aux grelots que sa mère cousait sur son portefeuille pour qu’il puisse se rendre compte de sa perte éventuelle. Dans son discours de réception de Poincaré à l’Académie française, Frédéric Masson devait évoquer cette épisode : « Puis, ayant hérité de votre père un goût passionné pour les voyages, vos missions d’élève ingénieur en Autriche et en Suède vous parurent un temps bénis. Ce n’est point que, connaissant vos distractions, votre mère vous vit partir sans inquiétude. Pour vous rappeler que vous aviez un portefeuille et, s’il tombait, pour qu’il éveillât votre attention, elle y avait cousu des petits grelots. Cela réussit à souhait, et, au retour, outre le portefeuille, vous rapportiez dans votre valise un drap de lit autrichien que, un matin, croyant prendre votre chemise, vous aviez soigneusement plié et enfermé. » [F. Masson 1909]. À en croire Aline Boutroux, l’idée des grelots venait en fait d’elle [A. Boutroux 2012, chap. XXIV].↩
- Titre
- Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - février 1877
- Incipit
- Rien de neuf. Le quatrième enfin pourquoi si jeune encor ...
- Date
- 1877-02
- Expéditeur
- Poincaré, Henri (1854-1912)
- Destinataire
- Launois, Eugénie (1830-1897)
- Identifiant
- L0280
- Adresse
- Nancy
- Lieu
- Paris
- Sujet
- fr Visites familiales et amicales
- fr Jeux de société (whist)
- Lieu d’archivage
- Private collection 75017
- Type
- fr Lettre autographe
- Section (dans le livre)
- 5
- Droits
- Archives Henri Poincaré
- Nombre de pages
- 2
- Transcription de
- Lettre H. Poincaré to Eugénie Launois (1/2)
- Lettre H. Poincaré to Eugénie Launois (2/2)
- Est une partie de
- La correspondance de jeunesse d'Henri Poincaré : les années de formation, de l'École polytechnique à l'École des mines (1873-1878)
- Noms cités
- Gonzalve Olleris
- Noms cités dans l'apparat
- Gonzalve Olleris
- Poincaré, Henri (1854-1912)
- Masson, Frédéric (1847- 192)
- Poincaré, Aline (1856-1919)
- Références Bibliographiques citées dans l'apparat
- Réponse de M. Frédéric Masson, directeur de l’Académie française au discours de M. Henri Poincaré prononcé dans la séance du 28 janvier 1909
- Vingt ans de ma vie, simple vérité... La jeunesse d'Henri Poincaré racontée par sa sœur (1854-1878) - Texte inédit édité par Laurent Rollet
- Numéro
- 280
- Langue
- fr
- Licence
- CC BY-ND 4.0
« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - février 1877 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 25 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/3665