LettreBlondlot à Poincaré, 1901-10-29

2-9-9. René Blondlot to H. Poincaré

Nancy 29 octobre 1901

Mon cher ami,

Vous recevrez en même temps que la présente lettre deux projets de Notes, que je viens vous prier de vouloir bien examiner. Je me suis proposé de rechercher si, lorsqu’une masse d’air est mûe normalement aux lignes de force d’un champ magnétique, il s’y produit ou non un déplacement électrique. Vous vous souvenez peut-être que je vous avais déjà consulté à ce sujet ; je crois être venu à bout de toute les difficultés qui se présentaient.11Voir la lettre de Blondlot à Poincaré du 23.01.1901 (§ 2-9-8). La seule quantité que j’ai dû calculer indirectement, faute de pouvoir la mesurer, c’est la vitesse du courant d’air que je produisais par détente ; je désire vous soumettre la méthode que j’ai employé pour évaluer approximativement cette vitesse :

soit m la masse de l’air contenue dans le réservoir, ω la section de l’orifice, v la vitesse d’écoulement à cet orifice (estimée vers le dehors) au temps t, la masse spécifique de l’air à l’orifice et à cet instant ; on a dm=-vωδdt, et, pour l’intervalle de temps θ entre l’ouverture et la fermeture complète du robinet,

-Δm=ω0θvδ𝑑t.

Si maintenant j’appelle δ1 la masse spécifique de l’air dans le réservoir avant l’ouverture du robinet, on a δ<δ1, d’où il résulte

-Δm<ωδ10θv𝑑t.

Mais

0θv𝑑t

est l’aire de la courbe ayant pour abscisses les temps et pour ordonnées les valeurs de V.

Si l’on assimile cette courbe à deux arcs de paraboles à axes verticaux se raccordant au sommet commun, & si l’on appelle V la vitesse maxima, cette aire est 23θV. On a ainsi

V>-Δmωδ1θ×32.

Connaissant le volume du réservoir : 12 litres, la pression initiale : 2,2 atmosphères, la section ω=1,5 cm2, la chute de pression : 0,3 atmosphère, & le temps θ=0,11 sec, j’ai trouvé V>150 mètre/sec.

Je crois que l’assimilation aux deux arcs de paraboles donne plutôt une valeur trop faible pour la vitesse maxima, car la courbe vraie doit vraisemblablement être plus pointue, et se rapprocher d’un angle tronqué.

Cette évaluation de la vitesse vous paraît-elle acceptable, au moins comme limite inférieure ?

La première des deux Notes que je vous adresse a pour objet la méthode électrométrique à laquelle j’ai eu recourt.22Blondlot 1901c. La seconde Note contient l’exposé des expériences d’insufflation : le résultat final est que j’ai constaté l’absence de déplacement électrique.33Blondlot 1901b.

D’après cela, il faudrait rejeter la théorie de Hertz pour les corps en mouvement.

Mais il me semble que l’absence de déplacement électrique dans l’air en mouvement dans un champ magnétique a des conséquences bien plus étendues & plus graves : si en effet, le mouvement dans un champ magnétique ne produit pas de déplacement électrique, n’en sera-t-il pas de même lorsque, tout étant immobile, le champ variera d’intensité ? Et alors que devient la théorie de Maxwell ?

Bien plus encore : si je ne me trompe, la non existence du déplacement électrique lors du mouvement dans un champ magnétique entraîne la non existence d’une action magnétique émanant du diélectrique d’un condensateur à air pendant que le condensateur se charge, autrement dit du courant de déplacement de Maxwell dans le cas de l’air.

Considérons en effet l’expérience suivante : un circuit rectangulaire ouvert ABCD se termine en A & B aux deux armatures d’un condensateur à air, le plan des armatures étant normal à ABCD.44À partir de son expérience, Blondlot (1901a) a mis en cause le principe d’action et de réaction. Une boite isolante très mince sert à rendre l’air du condensateur mécaniquement solidaire des armatures. L’appareil étant placé dans un champ magnétique uniforme dont les lignes de force sont normales au plan ABCD, donnons à l’ensemble une translation parallèle à AB ; il y aura courant induit, car il existe une force électromotrice le long de BC, point le long de AB & CD, point non plus dans la masse d’air, d’après mes expériences. Maintenant, il est clair que, grâce à une loi convenable de l’accélération du mouvement de translation, on pourra obtenir un courant constant ; l’intensité de ce courant sera alors simplement

i=-dNdt-VR,

N désignant le nombre de lignes de force coupées par BC, R la résistance du fil, & V la différence de potentiel des armatures du condensateur. On tire de là

i2Rdt=-idN-Vidt;

mais

Vidt=d(CV22),

C capacité du condensateur, est le gain d’énergie du condensateur, & ainsi, l’équation de l’énergie a lieu entre l’effet Joule, le travail (-idN) de l’agent qui a opéré la translation en surmontant les forces électromagnétiques le long de BC, & enfin le gain d’énergie du condensateur : pas de terme correspondant au travail d’une force électromagnétique agissant sur l’air du condensateur, & par suite pas de force de cette nature (ceci est encore d’accord avec Lorentz). Mais, cette fois encore, qu’advient-il de la théorie de Maxwell ?

Si je ne me trompe pas en tout ceci, fasse le Ciel que Rowland ait raison & que Crémieu ait tort, car autrement, il ne nous resterait aucun Saint à qui se vouer.55A propos des expériences de Crémieu voir l’introduction à sa correspondance avec Poincaré (§ 2-17). Et pourtant l’effet Rowland me semble dépendre du mouvement absolu, ce qui n’eut pas effrayé Newton, qui croyait que la force centrifuge en dépendait, mais répugne à nos cervelles modernes.

Excusez, je vous prie, cette longue lettre, & pardonnez moi de vous infliger la correction d’un devoir de plus, par ce temps de baccalauréat.

Bien cordialement à vous

R. Blondlot

P.S. Lorsque l’on fait tourner tant soit peu rapidement un disque d’ébonite ou de paraffine, il s’électrise fortement, sans doute par frottement contre les poussières. Cela paraît rendre impossible d’opérer avec des diélectriques autres que l’air. Toutefois, je ne désespère pas de m’en tirer autrement.

ALS 4p. Collection particulière, Paris 75017.

Références

  • R. Blondlot (1901a) Sur l’absence d’action d’un champ magnétique sur une masse d’air qui est le siège d’un courant de déplacement. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences de Paris 133, pp. 848–850. External Links: Link Cited by: 2-9-9. René Blondlot to H. Poincaré.
  • R. Blondlot (1901b) Sur l’absence de déplacement électrique lors du mouvement d’une masse d’air dans un champ magnétique. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences de Paris 133, pp. 778–781. External Links: Link Cited by: 2-9-9. René Blondlot to H. Poincaré.
  • R. Blondlot (1901c) Sur une méthode propre à déceler de très petites charges électriques. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences de Paris 133, pp. 717–719. External Links: Link Cited by: 2-9-9. René Blondlot to H. Poincaré.

Titre
Blondlot à Poincaré, 1901-10-29
Incipit
Vous recevrez en même temps que la présente ...
Date
1901-10-29
Adresse
Paris
Lieu
Nancy
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
en ALS
fr ALS
Section (dans le livre)
9
Identifiant dans les archives locales
CD n° 156:170
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
4
Langue
fr
Licence
CC BY-ND 4.0

« Blondlot à Poincaré, 1901-10-29 ». Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 19 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/3878