LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - 13 juin 1874

13 juin [1874]

Ma chère maman,

Le temps de pioche commence aujourd’hui ; j’ai été voir Bonnet et d’après ce qu’il m’a dit, je sortirai d’ici le 24 Août vers midi, s’il ne se passe rien d’extraordinaire d’ici là. Nos situations respectives avec Bonnefoy s’éclaircissent. L’avance en février était bien de 104 points.

Les notes de colle sont :

Méca.P 19,50B 19,25à4 p. 50.

StéréoP 18,33B 17à20 p.

PhysiqueP 18,33B 17,75à8 p 75

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Total à mon actif33 p. 25

Les notes de jodot1 sont connues ; j’ai 15, 16, 17, 17 ; ou 16,25 de moyenne ; et Bonnefoy n’a que 15,25 ; ceci me donne encore 3 points d’avance et ce qui est plus important réduit le passif calculé à 108 points. Tout danger est donc conjuré.

Je ne sais pas encore le jour de mon premier exam, je ne puis le calculer exactement parce que je ne sais pas la date de notre première visite à Vincennes. Je sais seulement que ce sera le 30 à midi ou le 1er à midi. Le lendemain j’aurai à subir un exam de Protch2 qui ne compte pas pour le classement.

Mardi prochain je passerai un exam d’allemand ; je ne sais pas au juste en quoi cela consistera.

À peine arrivé ici j’ai été enfoui jusqu’au cou dans les élections, les professions de foi, les votes, les dépouillements, les candidatures, d’une part ; ce n’est pas encore fini ; dans les ronds, les topos ronds, les topos blâmes, d’autre part ; enfin dans les visites à Bonnet, les incertitudes sur les époques des exams, les demandes de suppression, et l’X d’une troisième part. Le fameux rond a lieu ce soir à 4 h ½.

Nous aurons revue du géné demain à 7 h et probablement prolonge ; c’est pourquoi, quoique n’étant pas sûr d’être consigné demain (la question de savoir si les consignes faites à l’infirmerie comptent ou non est en litige) je n’ai pas hésité à donner la chose comme certaine à Versailles et sans parler du nombre des consignes ; d’autant plus que les Rinck commenceraient peut-être à trouver très drôles mes absences continuelles ; je n’y ai pas encore été depuis que tu as été à Paris. Je n’ai pas encore pu aller chez Madame Brice.

J’ai reçu hier une lettre d’Albert3. Nous irons probablement ensemble à Suresnes4. En ce moment les gogs sont remplis de types qui vendent et achètent des chevaux ; on y voit surgir les combinaisons les plus savantes. Tout Paris et Versailles seront demain à Suresnes.

On est aussi en grande rumeur à l’X, à cause des coups de poing de la gare St Lazare5. On a chanté hier Fisch-ton-khan toute la soirée.

 


  1. Les notes de dessin.

  2. Félix Aimé Protche.

  3. Albert Gille.

  4. L’hippodrome de Longchamp se situe non loin de la gare de Suresnes.

  5. Au printemps 1874, les bonapartistes connaissaient un regain de popularité qui inquiétait fortement orléanistes et républicains. Ainsi Gambetta, dans un discours prononcé le 1er juin 1874 à Auxerre, affirmait que les bonapartistes avançaient masqués en se présentant comme les partisans du suffrage universel : « Ils parlent notre langue, ils parodient nos idées, ils défigurent nos principes ». De fait, des rumeurs de l’existence d’un complot bonapartiste circulaient un peu partout et le 9 juin le député de la gauche républicaine à l’Assemblée nationale, Cyprien Girerd  en avait exhibé une preuve à la tribune : il s’agissait d’une circulaire de soutien à la candidature de Philippe La Baume , baron de Bourgoing, candidat bonapartiste à une élection législative partielle dans la Nièvre ; Bourgoing avait été écuyer de l’Empereur et inspecteur des haras, et Girerd présentait ce document comme l’émanation d’un Comité central de l’Appel au peuple, une association bonapartiste que ne pouvait être qu’illégale puisque la loi interdisait alors les associations politiques. On devait apprendre plus tard que ce document était un faux forgé par les républicains et les orléanistes. Suite à cet incident une campagne anti-bonapartiste dirigée par le journal La République française se mit en place, accusant notamment les anciens préfets de l’Empire de participer à une conspiration. En réaction, pendant plusieurs jours, des militants bonapartistes devaient venir manifester à la gare Saint-Lazare, lieu de départ des députés pour l’Assemblée nationale, alors située à Versailles. C’est à ces événements que Poincaré fait référence dans cette lettre [P. Baquiast 2001, p. 42-43]. On trouve de nombreux récits de ces manifestations dans la presse de l’époque. Ainsi dans le journal Le Confédéré du jeudi 18 juin 1874 : « Les scènes tumultueuses de l’Assemblée de Versailles, du 9 juin, devaient nécessairement avoir de l’écho en dehors de l’enceinte parlementaire. Les jours suivants, les abords de la gare St Lazare où les députés habitant Paris viennent prendre le train de 1 h. 25 pour se rendre à Versailles, étaient encombrés d’hommes appartenant aux deux opinions qui s’étaient entrechoquées : M. Gambetta avait été frappé au visage par un bonapartiste, le comte de Ste-Croix : l’exaspération était telle qu’un grand déploiement de sergents de ville et de troupes de ligne était devenu nécessaire. Malheureusement les sergents de ville, recrutés par le préfet de police impérial, M. Piétri, et conservés par M. Thiers, sont une troupe peu propre à ramener l’ordre : bonapartistes incarnés pour la plupart, ils sont plutôt des agents provocateurs que les représentants de l’ordre ».

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 13 juin 1874
Incipit
Le temps de pioche commence aujourd'hui ...
Date
1874-06-13
Identifiant
L0074
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Examens intermédiaires et finaux
fr Courses hippiques
fr Visites familiales et amicales
fr Événements de la gare Saint-Lazare (juin 1874)
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
2
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
3
Mots d'argot polytechnicien cités
Pioche
Colle
Jodot / Jodoter
Rond
Topo
X
Géné
Prolonge
Consigne
Gog / Gogs
Références Bibliographiques citées dans l'apparat
L'âge d'or des républicains (1863-1914)
Numéro
074
Langue
fr
Oeuvres citées
Le sire de Fisch-ton-kan
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 13 Juin 1874 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 18 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/3880