LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - 15 juillet 1878

15 Juillet 1878 Lundi

Bergener Dagbladet1

Édition Française

Pour toute communication à l’administration du journal s’adresser Christiania, hôtel Victoria.

 

Nouvelles maritimes

Le navire Finmarken, parti de Molde samedi soir à 9 heures, est arrivé dans notre port à 10 heures ½ hier dans la soirée. Il portait à son bord deux de nos plus honorables marchands de poisson et leurs aimables moitiés et en outre un jeune français qui vient visiter notre ville. Le navire a joui en route du plus beau temps ; il n’a été secoué que la nuit et un peu le matin. D’ailleurs aucun de ses passagers n’a cessé de jouir de la plus parfaite santé.

Le temps qu’il fait

À Molde vendredi pluie intense ; samedi temps très convenable ; dimanche temps couvert et froid mais non pluvieux ; aujourd’hui lundi temps très convenable. Les courbes isobares affichées à la bourse de notre ville nous permettent d’espérer une amélioration. La dépression semble s’éloigner vers l’E [Est].

Berlin 10 Juillet

Les nouvelles qui nous arrivent du congrès ne semblent pas bonnes2. Il semble que la France et l’Italie aient été les dindons de la farce.

Nouvelles de France.

Nous avons reçu une lettre de notre correspondant français portant le N° 4.

Variétés

Les idées d’un Scotch gentleman.

– Je ne vois pas pourquoi on ne mange pas du sucre avec du sel ; puisqu’on mange avec du sel des pommes de terre dont le fécule est susceptible de se transformer en sucre. 

– Le téléphone trouvera sa principale application en Chine où le télégraphe n’a pu se répandre faute d’alphabet.

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Nous espérons recevoir à Christiania des nouvelles de la grande expédition au pôle Nord de MM. Bonnefoy et Backke. Nous souhaitons vivement le succès de cette grande entreprise franco-norvégienne.

Indicateur général3

Bergen sur le Kongs Yverre mardi 8 h matin.

Viksnoes4 d° 3 h ½ soir sur le Straoner.

Viksnoes jeudi 3 h ½ matin.

Bergen d° midi.

Bergen samedi 5 h matin.

Eidsfjord samedi 8 h soir.

 dimanche 6 h soir.

Eide                                                                                      _______  9 h soir.

lundi expédition à Gravdal ou à Varalso

mardi d’Eide à Gudvangen.

mercredi de Gudvangen à Laerdal.

jeudi diligence –

Samedi dernier notre rédacteur en chef accompagné d’un aquarelliste écossais a fait une expédition à Varden au dessus de Molde5 ; il a joui de là haut d’un vaste panorama sur les montagnes du Romsdal et sur la mer. Il a pu apercevoir la mer des deux côtés de la montagne où il se trouvait, pendant que sur un plateau de cette même montagne à 150 mètres environ au dessous de lui, il voyait deux ou trois petits lacs.

Unpunctuality

Il est vraiment déplorable que les paquebots qui naviguent sur nos côtes ne fassent pas le service d’une manière plus régulière. Le paquebot Finmarken qui devait être à Molde à 4 h du soir n’est arrivé dans ce port qu’à 9 h et ce qu’il y a de plus extraordinaire dans cet événement c’est qu’il n’avait l’air d’étonner en aucune façon les habitants de la ville, ce qui semble indiquer qu’ils sont tout à fait habitués à ce genre d’émotions.

Le pain

Les Norvégiens sont habitués à ce qu’on soit injuste envers eux à l’étranger ; une des attaques que l’on dirige le plus fréquemment contre eux en France est particulièrement injustifiable. Tous les voyageurs français qui s’embarquent pour notre pays, tremblent à la pensée qu’ils ne pourront de longtemps manger de ce pain dont ils sont si friands. Nous pourrions citer en particulier la coqueluche de toutes les Nancéennes, l’Adonis de Lunéville, le joli petit George6 en un mot, qui, effrayé par un cousin un peu porté à l’exagération, se prépare à faire pénitence en mangeant de l’essence de pommade à la rose, du fenouil et de l’anis. Heureusement pour ce jeune homme, nous ne sommes pas aussi barbares qu’on veut bien le dire ; nous ne sommes certainement pas inférieurs à l’Allemagne. Dans les petites localités on a du pain noir comme en Allemagne mais un peu moins anisé. Dans les grandes villes, à Throndjem, à Jerkin, à Molde, à Bergen, nous possédons du pain blanc. Nous avons il est vrai, du biscuit de mer ; mais cet ingrédient est exclusivement destiné à ceux qui le préfèrent à tout autre et rien n’empêche ceux qui n’ont pas d’assez bonnes dents de choisir d’autres catégories de comestibles.


Musée de Bergen

Antiquités du Nord

Animaux

Ethnographie

Visible le lundi de 1 heure à 1 heure

 

 

Explication du dernier rébus.

Thalie née à Boréa lys a été au service des Magniens7 ( ???)

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– Notes –

1 Le Dagbladet, fondé en 1869, était l’un des principaux quotidiens norvégiens de l’époque et existe encore aujourd’hui. Le titre parodique Bergener Dagbladet renvoie bien-sûr à la ville de Bergen où Poincaré était arrivé le 13 juillet.

2 Il s’agit d’une référence au Congrès des nations de Berlin, une conférence diplomatique qui s’était tenue dans la capitale allemande entre le 13 juin et le 13 juillet 1878. Ce congrès était une tentative pour régler les nombreux problèmes internationaux causés par la guerre russo-ottomane qui s’était soldée par une victoire de la Russie en janvier 1878. Le traité de San Stefano signé en Bulgarie en mars 1878 avait imposé de rudes conditions de paix à l’Empire ottoman, notamment l’indépendance immédiate des États chrétiens des Balkans. Ces décisions avaient été très mal acceptées par les puissances britannique et austro-hongroise qui voyaient d’un très mauvais œil l’extension de la Russie vers la Bulgarie et vers le détroit du Bosphore. C’est au cours du Congrès de Berlin que devaient être redessinées, jusqu’à la Première Guerre mondiale, les frontières des États balkaniques avec leur système complexe de liens diplomatiques et dynastiques.

3 Les lignes suivantes semblent évoquer le programme d’un voyage de plusieurs jours dans les environs de Bergen (probablement par voie maritime). La référence à une étape vers Eide est quelque peu difficile à comprendre en tenant compte des temps de parcours que Poincaré semble indiquer dans sa lettre. Il existe en effet, à une trentaine de kilomètres au nord de Molden, une petite commune portant le nom d’Eide. Cependant, elle se situe bien trop loin de Bergen – plus de 400 kilomètres – pour correspondre aux descriptions que fait Poincaré. En réalité, la commune à laquelle il fait référence porte bien le nom d’Eide, mais elle est située à environ 130 kilomètres à l’est de Bergen, non loin d’Ulvik et d’Eidfjord. Voir la lettre suivante.

4 Poincaré évoque ici un voyage dans la commune de Vigsnes – il écrit Viksnoes dans sa lettre – sur l’île de Karmøy, au sud de Bergen. Un très important gisement de cuivre y avait été découvert au milieu des années 1860 et la ville était rapidement devenue l’un des plus importants sites de production d’Europe du Nord. Vers la fin du 19e siècle la Compagnie des pyrites de Vigsnes employait plus de 1 000 personnes et représentait une part très importante des revenus d’exportation de la Norvège. Elle était par ailleurs à la pointe de la technologie ; en 1875 elle avait ainsi été la première mine norvégienne à s’équiper de perceuses pneumatiques. La Statue de la Liberté devait être fabriquée à partir de cuivre provenant de l’île de Karmøy. La France importait d’ailleurs les pyrites de Vigsnes.

5 Le Varden est un sommet montagneux très proche de Molden. Il offre une vue panoramique sur les environs.

6 Cette référence au petit George revient très souvent dans les lettres suivantes. Une lettre de la correspondance de Poincaré avec Balthazar Mathis nous permet de déterminer qu’il est question d’Émile George. Les quelques informations présentes dans les lettres où Émile George est cité sont insuffisantes pour l’identifier formellement : on apprend qu’il était originaire de Lunéville et qu’il était un peu plus jeune que Poincaré. Il se trouvait en Norvège et en Suède en même temps que Poincaré et se faisait héberger à Stockholm par la famille Thiébaut, une famille amie des parents de Poincaré à Paris. À partir des fichiers de la Légion d’honneur on peut cependant faire l’hypothèse qu’il s’agissait de Nicolas Marie Émile George (1856-1935). Licencié en droit puis notaire il devait présider le conseil d’administration de la Caisse d’Épargne de Lunéville. Voir son dossier de Légion d’honneur aux Archives nationales (LH/ 19800035/0105/13190).

7 La famille Magnien était très proche de la famille Poincaré. La sœur d’Émile-Léon Poincaré, Clémence Poincaré (1823-1902), était l’épouse de Théodore Magnien .


 

 

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 15 juillet 1878
Incipit
Bergener Dagbladet Édition Française
Date
1878-07-15
Identifiant
L0304
Adresse
Nancy
Sujet
fr Voyage d’étude en Norvège et en Suède (1878)
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
6
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
4
Numéro
304
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 15 Juillet 1878 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 20 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/3992