LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - mai 1874

[mai 1874]

Ma chère maman,

Il ne s’est rien passé de bien important depuis ton départ ; j’ai invité Pinat qui a refusé parce qu’il dînait chez un de ses oncles. Quant à moi, comme il y a prolonge demain, je me demande ce que je vais faire. J’ai envie, puisque je ne pourrai me dévisser qu’à 10 h, de voir la fin de la Jeunesse dont j’ai vu les 2 premiers actes1. D’ailleurs je réfléchirai. On se demande quelle est la cause de l’amendement continu du géné. On ne le reconnaît plus. On ne sait pas encore si on sortira lundi ; mais il est probable qu’on aura reprolonge mercredi. Il y a des cocons qui proposent de nous dévisser à Perrin2 pour faire jouer mercredi aux Français La Belle Paule sous prétexte qu’elle est d’un antique3. Une question ; faut-il ou non inviter Mauger ; je ne suis pas dans le cas de me le rappeler. Voici le gigon demandé sur le gigon Laguerre. Une fois Hermite4 était malade et Laguerre nous faisant l’amphi nous fit une certaine question. Mais comme il écrit très mal à la planche5, je n’avais pu prendre de notes. Je ne m’en occupai plus pendant quelques jours ; mais un jour un cocon vint me demander un gigon d’explique sur ce sujet. Je lui répondis que je n’avais pas pris de notes mais que j’allais lui reconstituer la démonstration de Laguerre. Je la reconstituai donc ou crus la reconstituer, ayant cependant des inquiétudes sur un certain L qui était la seule note que j’avais prise et que je n’avais pu introduire dans ma démonstration. Le soir on appelle le cocon en colle et Halphen lui demande justement cette question. Le cocon donne la démonstration. Le colleur lui demande si elle est de lui. Le cocon arrive alors me trouver, me demande si elle est de moi, puis retourne le dire à Halphen qui répond que cela ne l’étonne pas. Halphen le dit à Laguerre qui me fait appeler, me dit que ma démonstration est beaucoup plus simple que la sienne et qu’on pourrait l’y substituer dans les feuilles que tu découvres, je suppose, du nom pompeux d’Archives de l’École polytechnique6. Je vais alors trouver Pinat pour lui dire de faire cette substitution ; à partir de ce moment là mes souvenirs se troublent ; je sais seulement que Laguerre m’a fait appeler une seconde fois ; mais je ne sais plus pourquoi. Je croyais pourtant qu’on avait mis ma démonstration dans les feuilles, si mon tiroir n’était pas dans un beau désordre je pourrais le constater par moi-même ; je vais néanmoins faire une tentative… La tentative a été couronnée d’un succès éclatant, après toutefois bien des efforts infructueux et à travers les difficultés les plus considérables. La démonstration y est. Je ne comprends plus alors très bien ce que tu entends par les Archives. Je suis en train de faire un autre gigon pour simplifier la théorie du pendule elliptique exposée par Résal7. Il n’y a plus qu’un facteur 2 qui est assez gênant, mais que je finirai par faire disparaître. Je ne sais pas trop si je n’en ferai pas encore un autre ; parce que la salle 17 a fait une expérience épatante sur le pendule que je voudrais expliquer. Elle voulait démontrer la rotation de la terre ; elle n’a pas réussi parce que le pendule n’était pas bien construit et il s’est elliptisé tout seul.

Pourquoi la Liline8 ne fait-elle pas son gigon ? Si elle veut je vais lui poser des jalons :

1° Démontrer que le chemin se compose de deux droites

2° Démontrer que le plan de deux droites est perpendiculaire au plan de séparation.

3° Démontrer que les sinus des angles d’incidence sont proportionnels aux vitesses.

Le sinus de l’angle c’est AB : BC

4° Démontrer que le chemin considéré est le chemin de la lumière dans l’hypothèse des ondulations.

 


  1. La jeunesse de Louis XIV. Voir la lettre page 48.

  2. Émile Perrin était à la fois peintre, critique d’art, décorateur et administrateur de théâtres. Il avait été directeur de l’Opéra comique (1848-1857) et de l’Opéra de Paris (1862-1871). En 1871, il avait été nommé administrateur de la Comédie Française, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort.

  3. Il est question ici de Louis Denayrouze.  Denayrouze fut répétiteur à l’École polytechnique ; il publia des vers, des comédies.  En 1872, il avait publié La belle Paule, une fantaisie en un acte et en vers [L. Denayrouze 1872]. Cette pièce avait été créée au théâtre de la Gaîté le 22 décembre 1872 et elle fut effectivement reprise au théâtre de la Comédie Française à partir du mardi 12 mai 1874. Les élèves de l’École polytechnique avaient sans doute demandé à Émile Perrin la programmation d’une séance un mercredi soir, à un horaire compatible avec leurs sorties hebdomadaires.

  4. Le mathématicien Charles Hermite devait jouer un grand rôle dans la formation mathématique et la carrière de Poincaré. Il était à l’époque de cette lettre professeur d’analyse à l’École polytechnique et titulaire de la chaire d’algèbre supérieur à la Faculté des sciences de Paris.

  5. Planche : tableau noir.

  6. Poincaré faisait probablement référence à une gazette interne à l’École polytechnique qui publiait les bonnes copies des élèves.

  7. Aimé Henry Résal avait été formé à l’École polytechnique (promotion 1847) puis à l’École des mines. Nommé professeur de mécanique à l’École polytechnique en 1872. Cette lettre est l’une des rares de cette période où Poincaré évoque de manière aussi précise ses activités mathématiques.

  8. Aline Boutroux, la sœur de Poincaré.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - mai 1874
Incipit
Il ne s'est rien passé de bien important depuis ton départ ...
Date
1874-05
Identifiant
L0064
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Affaires diverses (polytechnique)
fr Théâtre et opéra
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
2
Identifiant dans les archives locales
CD n° 5
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
3
Références Bibliographiques citées dans l'apparat
La belle Paule, fantaisie en un acte, en vers
Numéro
064
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - Mai 1874 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 24 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/4335