LettreHenri Poincaré à Eugénie Poincaré - 15 décembre 1873

[15 décembre 1873]

Lundi

Ma bonne maman,

Nous aurons le jour de Mac-Mahon au nouvel an, ce qui fera trois jours. Pour Noël on ne sait rien : de plus on parle de la visite de Mac Mahon. Ce qui le fait supposer c’est qu’on nous fait apprendre le défilé qui est dans l’école du bataillon avant l’école du peloton. On le fait faire aussi aux anciens. On fait même commander les gradés. Nous y attraperons peut-être encore quelque-chose.

Tournaire1 m’a invité à dîner chez Transon2 mercredi prochain. Mais comme nous devions faire notre dîner de salle, je n’ai pu accepter. J’ai été lui faire une visite hier et j’ai trouvé toute la famille toujours très aimable. Hier j’ai été avec Élie3 toute la matinée pendant qu’il allait faire des visites pour le bureau de bienfaisance4. Puis j’ai été à la messe, puis chez Transon ; puis au café hollandais avec Élie puis j’ai été dîner chez Mme Olleris, où il y avait Baillot5, Mlle de Vivien6, Mme Thomas7 et un jeune officier avec sa femme. Le jeune officier s’est disputé sur la politique pendant tout le dîner avec sa femme et Mlle de Vivien ; il était soutenu dans ses opinions essentiellement et résolument conservatrices par Mme Thomas ; tout le reste de la société était autour à se tordre de rire, principalement Gonzalve8. C’était très drôle.

Belleville9 a piqué 13 l’autre jour ; Jodot10 a dit à Badoureau que j’avais fait d’énormes progrès en jodot depuis mon jodot d’entrée et a l’air de lui insinuer que c’était à lui que je les devais. Il a fait passer un topo l’autre jour pour demander des cartes d’état-major. Je me suis inscrit pour Paris et pour toute l’Alsace et la Lorraine. J’en aurai pour 10 frs environ. Raconte-moi les catastrophes financières de Nancy11. Ça doit faire une rude révolution. Pourquoi ne m’as-tu pas dit que M. Gentil12 père était mort. Je n’ai plus entendu parler de l’affaire de Maniguet et je n’en entendrai probablement plus parler. J’ai reçu mon caleçon et mon rhume est passé au musée des antiques13.

J’embrasse tout le monde.

Henri

 


  1. On peut penser qu’il s’agit de Louis Marcellin Tournaire, le père du camarade de promotion de Poincaré, René Eugène Tournaire (voir la note suivante ainsi que la note 7, page 374).

  2. Abel Transon  avait été formé à l’École polytechnique (promotion 1823) et à l’École des mines. Nommé répétiteur à l’École polytechnique en 1841. Il devait devenir examinateur d’admission en 1858, ce qui l’amenait à accomplir chaque année un tour de France des centres d’examen (sa tournée de 1873 fut d’ailleurs la dernière). Transon était un parent par alliance de la famille Xardel [P. Xardel 2012] et un proche de Louis Marcellin Tournaire. Ce dernier devait d’ailleurs rédiger son éloge [L. M. Tournaire 1878].

  3. Élie Rinck.

  4. Le Bureau de bienfaisance avait été créé par les élèves de l’École polytechnique au début des années 1800. Traditionnellement les élèves des promotions devaient apporter leur concours aux visites de bienfaisance menées dans les familles très pauvres du 5e arrondissement.

  5. Eugène Édouard Baillot (1853-1916) était un élève de la promotion 1872, comme Élie Rinck. Il était originaire de Nancy et avait côtoyé Poincaré au lycée. Il fit carrière dans l’artillerie [Registres des étudiants de l’École polytechnique 2016].

  6. Mademoiselle de Vivien était semble-t-il une relation proche de la famille Olleris.

  7. Madame Thomas, dont le nom revient à plusieurs reprises sous la plume de Poincaré, était une proche de la famille Olleris. Dans une autre lettre Poincaré mentionne qu’elle était « une nièce à la mode de Bretagne » du général Jules Tripier (1804-1875).

  8. Gonzalve Olleris.

  9. Jean-Baptiste Belleville.

  10. Marc Jodot, professeur de dessin à l’École polytechnique. Voir le lexique Jodot.

  11. Le père de Poincaré était alors conseiller municipal et on peut supposer qu’il est question ici des finances de la ville, très fragilisées par la guerre et l’occupation (les troupes allemandes avaient quitté la ville en août 1873).

  12. La famille Poincaré était liée de manière assez lointaine à la famille Gentil par l’intermédiaire de la famille Berment. Le chef de famille, S. Gentil, propriétaire d’une papeterie près de Champigneulles, avait acheté en 1841 une (seconde ?) papeterie à Mainbottel, un lieu-dit situé à proximité du village de Mercy-le-Bas, à quelques kilomètres de Pierrepont et d’Arrancy. Cette entreprise prospéra semble-t-il durant plusieurs décennies avant de faire faillite quelques années après la mort de S. Gentil en 1873. Voir [A. Boutroux 2012, chap. XIV et XXVI].

  13. Passé au musée des antiques : est devenu une affaire ancienne.

Titre
Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 15 décembre 1873
Incipit
Nous aurons le jour de Mac-Mahon au nouvel an ...
Date
1873-12-15
Identifiant
L1873-12-15-HP_EP
Adresse
Nancy
Lieu
Paris
Sujet
fr Affaires diverses (polytechnique)
fr Décès de S. Gentil
fr Visites familiales et amicales
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe signée
Section (dans le livre)
1
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
3
Mots d'argot polytechnicien cités
Ancien
Salles
Piquer
Jodot / Jodoter
Topo
Numéro
019
Langue
fr
Éditeur
Archives Henri Poincaré
Laurent Rollet
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Eugénie Poincaré - 15 décembre 1873 ». La Correspondance De Jeunesse d’Henri Poincaré : Les années De Formation, De l’École Polytechnique à l’École Des Mines (1873-1878). Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 29 mars 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/4438