LettreHenri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 26 juillet 1881

Paris, le 26 Juillet 18811

Mon cher ami,

Je vous remercie beaucoup de votre lettre et des preuves d’amitié que vous voulez bien me donner.

Je ne comprends pas bien ce que vous me dites au sujet de l’équation : \[u_1 F_1 \frac{dz}{du_1} + u_2 F_2 \frac{dz}{du_2} + \ldots + u_n F_n \frac{dz}{du_n} = z.\]

Vous dites que l’intégrale est \[z = C.\,u_1\]

Cela ne serait exact que si \(F_1\) était identiquement égal à 1. Or, ce n’est pas cela que j’ai supposé ; j’ai supposé seulement que \(F_1\) se réduit à 1 quand on annule tous les \(u\). Il est vrai que dans le premier exemple que je vous avais envoyé, par suite d’une erreur que je vous prie de me pardonner j’avais pris \(F_1=\) identiquement 1. Il n’en était pas de même du second.

Si vous voulez bien, je vais prendre un autre exemple très simple, et calculer seulement les premiers termes de l’intégrale.

Je prends deux variables seulement \(u_1\) et \(u_2\) ; Soit :2

\[u_1(1 + u_2)\frac{dz}{du_1} + u_2\lambda_2 \frac{dz}{du_2} = z.\]

Je pose : \[\begin{split} z &= \alpha_1 u_1 + \alpha_2 u_2 + \beta_1 u_1^2 + \beta_2u_1 u_2 + \beta_3 u_2^2\\ &+ \gamma_1 u_1^3 + \gamma_2 u_1^2u_2 + \gamma_3 u_1 u_2^2 + \gamma_4 u_2^3\\ &+ \delta_1 u_1^4 + \delta_2 u_1^3 u_2 + \delta_3 u_1^2 u_2^2 + \delta_4 u_1 u_2^3 + \delta_5 u_2^4 + \; \ldots , \end{split}\] et j’obtiens par la méthode des coefficients indéterminés \[\begin{aligned} {} \alpha_1 &= \alpha_1, & \alpha_2 &=\lambda_2 \alpha_2,& 2\beta_1 &=\beta_1,& \beta_2(1+\gamma_2) +\alpha_1 &=\beta_2,\\ 2\beta_3 \lambda_2 &= \beta_3 ,& 3\gamma_1 &= \gamma_1,& 2\gamma_2 + 2\beta_1 + \lambda_2 \gamma_2 &= \gamma_2,\\ \gamma_3 + \beta_2 + 2\lambda_2 \gamma_3 &= \gamma_3,& 3\lambda_2 \gamma_4 &= \gamma_4,\\ 4\delta_1 &= \delta_1 ,& 3\delta_2 + 3\gamma_1 + \lambda_2 \delta_2 &= \delta_2,\\ 2\delta_3 + 2\gamma_2 + 2\lambda_2 \delta_3 &= \delta_3,& \delta_4 + \gamma_3 + 3\lambda_2 \delta_4 &= \delta_4,& 4\lambda_2 \delta_5 &= \delta_5 .\end{aligned}\] d’où l’on tire, en supposant arbitrairement \(\alpha_1 = 1\) ; \[\begin{aligned} {7} \alpha_2 &= 0 & \beta_1 &= 0 & \beta_2 &= -\frac{1}{\lambda_2}& \beta_3 &= 0 & \gamma_1 &= 0 & \gamma_2&= 0\\ \gamma_3 &= \frac{1}{2\lambda_2^2} & \gamma_4 &= 0 & \delta_1 &= 0& \delta_2 &= 0 & \delta_3 &= 0 & \delta_4 &= -\frac{1}{6\lambda_2^3}& \delta_5 &= 0\end{aligned}\] d’où: \[z = u_1 - \frac{u_1 u_2}{\lambda_2} + \frac{u_1 u_2^2}{2\lambda_2^2} - \frac{u_1 u_2^3}{6\lambda_2^3} + \ldots .\]3

On pourrait évidemment trouver l’intégrale de la façon suivante;4 posant \(z = tu_1\) il vient : \[t(1 + u_2) + u_1(1 + u_2)\frac{dt}{du_1} + u_2 \lambda_2 \frac{dt}{du_2} = t,\] dont une intégrale s’obtient simplement en posant : \[t + \lambda_2 \frac{dt}{du_2} = 0,\] d’où : \[t = e^{-\frac{u_2}{\lambda_2}},\] de sorte que l’intégrale holomorphe s’écrit : \[z = u_1 e^{-\frac{u_2}{\lambda_2}},\] multiplié par une constante.

Dans cet exemple, en posant ensuite \[\lambda_2 = x - \alpha_2\] comme je le fais dans ma note, on n’aurait pas d’espace lacunaire5. Cela n’arriverait que dans des cas plus compliqués. Mais ce qui précède suffira, je pense, pour vous faire comprendre comment il faudrait conduire le calcul dans tous les cas possibles.

Veuillez agréer, mon cher ami, l’expression de mon amitié sincère et de mon estime pour votre talent.

Poincaré


Apparat critique 

  1. Paris-26 juillet — Helsingfors-31 juillet.↩︎

  2. Variante : “\(u_3 \lambda_3 dz/du_3\)”.

    Poincaré se proposait d’analyser dans un premier mouvement, un exemple à 3 variables puisque son exemple à deux variables est obtenu en rayant le dernier terme du premier membre de l’équation : \[u_1(1 + u_2)\frac{dz}{du_1} + u_2 \lambda_2 \frac{dz}{du_2} + u_3\lambda_3 \frac{dz}{du_3} = z.\] Poincaré poursuivait en écrivant le développement général d’une fonction à 3 variables.↩︎

  3. Et donc : \[\begin{aligned} z &= u_1 \;\sum\limits_k \frac{1}{k!}\left( \frac{-u_2}{\lambda_2} \right)^k\\ &= u_1 e^{-\frac{u_2}{\lambda_2}} .\end{aligned}\]↩︎

  4. Poincaré propose d’utiliser une méthode de variation de la constante, méthode qu’il utilisera dans le cas général (voir lettre °8).↩︎

  5. Comme Poincaré vient de le montrer, les équations de récurrence vérifiées par les solutions de l’équation différentielle admettent des solutions indépendamment de la valeur de \(\lambda_2\). Dans ce cas, la solution est une fonction du paramètre \(x\) qui “existe partout sauf en des points isolés. Il n’y a pas d’espace lacunaire” Poincaré (1883); Valiron (1950, 29)↩︎


Références

Poincaré, Henri. 1883. “Sur les fonctions à espaces lacunaires.” Acta Societatis Scientiarum Fennicae 12: 343–50.↩︎

Valiron, Georges, ed. 1950. Œuvres d’Henri Poincaré, Volume 4. Paris: Gauthier-Villars.↩︎

Titre
Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 26 juillet 1881
Incipit
Je vous remercie beaucoup de votre lettre et des preuves d'amitié...
Date
1881-07-26
Lieu
Paris
Sujet
Équations aux dérivées partielles et espaces lacunaires
Lieu d’archivage
Mittag-Leffler Institute
Type
fr Lettre autographe signée
Section (dans le livre)
7
Nombre de pages
3
Langue
fr
Publié sous la référence
CHP 1:7
Licence
CC BY-ND 4.0

« Henri Poincaré à Gösta Mittag-Leffler - 26 Juillet 1881 ». La Correspondance Entre Henri Poincaré Et Gösta Mittag-Leffler. Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 16 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/5836