LettreMartial Simonin à Henri Poincaré, juin 1898

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Dans le numéro de mai dernier du Bulletin astronomique, p. 197, qui contient l’analyse d’une Note que vous avez bien voulu présenter l’an dernier aux Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXIV, p. 1423,2 je lis que l’hypothèse admise par moi est en contradiction avec tout ce que l’on sait sur la constitution du Soleil.3

Cette critique ne me paraît pas exacte ; c’est pourquoi je me permets de vous adresser ces quelques mots de rectification.

L’hypothèse qui m’a servi de point de départ est extraite du Tome II du Soleil du P. Secchi, p. 219 et 222.4

On lit (p. 219) : Il est remarquable que les phases des diamètres sembleraient avoir une correspondance avec les inégalités du périgée solaire, découvertes par M. Le Verrier. Serait-ce là un effet de l’excentricité du centre de gravité du Soleil par rapport au centre de figure ? En cette matière, on ne peut poser que des questions dont la solution est réservée à la postérité...

Dans le même Ouvrage (p. 31), on lit aussi que la chromosphère n’a pas partout et toujours la même épaisseur.

Après de longues réflexions, j’a été encouragé à vous adresser ma Note par la lecture de cette conclusion d’un Mémoire de M. Dunér :5

Je dois avouer que cette différence entre le temps de rotation dans les différentes latitudes me semble incompréhensible et constitue un des problèmes les plus difficiles de l’Astrophysique, d’autant plus que les recherches sur la rotation du Soleil, faites à l’aide des mesures sur les facules, semblent contredire ce ralentissement. Dunér, Recherches sur la rotation du Soleil (Société royale des Sciences d’Upsal, 1891)

La surface solaire m’a donc paru pleine d’énigmes ; aussi me suis-je cru autorisé à me servir d’une nouvelle hypothèse pour expliquer le mouvement du périhélie de Mercure. Les calculs de ma Note mènent à cette conclusion.

Tous se passe comme si les planètes causaient des marées sur la surface gazeuse du Soleil, de même que la Lune cause des marées sur la surface des mers de notre planète.

Cette conclusion est en tout point conforme à ce que vous dites de l’attraction des planètes sur le Soleil dans vote Notice sur la stabilité du Système solaire (Ann. du Bur. des Long., 1898, p. B. 14).6

Que l’on considère ou non cette explication comme une simple interprétations des calculs, qu’on voie là une action de la gravitation, une action électrique ou magnétique, on peut toutefois se demander si elle conduit, pour une autre planète que Mercure, à un mouvement anormal du périhélie.

Si l’on admet que, comme cela se passe pour les marées, le rayon du cercle décrit par le centre de gravité du Soleil autour du centre de figure est proportionnel à \(\frac{m}{r^3}\) (\(m\), masse de la planète troublante ; \(r\), sa distance au Soleil), on a, pour la somme approchée des variations séculaires des périhélies et des nœuds \(\Omega\) des diverses grosses planètes, le Tableau suivant, où j’admets pour Mercure les variations données par M. Newcomb (Comptes rendus, t. CXIX, p. 984) :

\[\begin{array} {lcccc} &&&\delta\omega+\delta\Omega \quad\mbox{d'après}\\ \mbox{Planètes}&&\mbox{M. Newcomb}&&\mbox{l'hypothèse Secchi}\\ \mbox{Mercure}&\cdots&46"\pm 6"& &46"\pm 6"\\ \mbox{Vénus}&\cdots&-2\pm 30& &19\pm 6\\ \mbox{Terre}&\cdots&5\pm 7& &4\pm 1\\ \mbox{Mars}&\cdots&9\pm 10& &0,1\pm 0,0\\ \mbox{Jupiter}&\cdots&"& &0,1\pm 0,0\\ \mbox{Jupiter}&\cdots&"& &0,001 \end{array}\] L’hypothèse actuelle ne semble donc conduire à aucune contradiction et elle explique la variation séculaire du périhélie de Mercure, qui n’a pu jusqu’alors être encore expliquée.

Il est bien évident que ces calculs ne sont qu’approchés ; j’y ai d’ailleurs négligé les variations de l’excentricité et de l’inclinaison.

Si l’on considère que la période de onze ans, constatée dans certaines études sur le diamètre solaire, concorde avec le temps de révolution de Jupiter, que les conjonctions de Mercure et de Vénus se succèdent tous les quatre et tous les dix mois, et, par suite, que les actions respectives de Mercure, Vénus, et Terre peuvent introduire des variations analogues ou plutôt inférieures à celles qu’on attribue aux erreurs d’observations dues aux saisons terrestres, il me paraît grave de condamner, a priori, une hypothèse qui rend mieux compte du mouvement du périhélie de Mercure que celles qui ont été proposées jusqu’alors.


Apparat critique 

  1. Cette lettre est publiée dans le Bulletin astronomique (Simonin (1898)).↩︎

  2. Simonin (1897b).
    La note de Simonin est présentée par Poincaré. Simonin se propose dans cette Note, d’expliquer, à l’aide d’une hypothèse simple, les différences entre les valeurs observées et théoriques des longitudes des périhélies ou des nœuds de certaines grosses planètes. L’hypothèse de Simonin consiste à supposer que le centre de gravité \(G\) du Soleil diffère de son centre de figure \(O\).↩︎

  3. Le compte rendu de lecture de la note de Simonin est signée G. B. On peut supposer qu’il s’agit de Guillaume Bigourdan :

    M. Simonin montre qu’en admettant que le centre de gravité du Soleil diffère de son centre de figure, on explique les différences entre les valeurs observées et les valeurs théoriques des longitudes des périhélies ou des nœuds de certaines planètes sans introduire, pour les autres planètes, une perturbation périodique variable. malheureusement l’hypothèse qui sert de base à cette explication est en contradiction avec tout ce que l’on sait de la constitution du Soleil (Bulletin astronomique, 15 (1898), p. 18).

    ↩︎
  4. Secchi (1870).↩︎

  5. Dunér (1891).↩︎

  6. Poincaré (1898).

    Dans ses réflexions sur la stabilité du système solaire, Poincaré évoque l’influence du phénomène des marées ou des déformations élastiques sur le mouvement du soleil :

    Mais le Soleil produit aussi des marées, l’attraction des planètes en produit également sur le Soleil. [...]

    Il ne faudrait pas croire qu’un globe solide, qui ne serait pas recouvert par des mers, se trouverait , grâce à l’absence des marées, soustrait à des actions analogues à celles dont nous venons de parler. Et cela, en admettant même que la solidification ait atteint le centre de ce globe.

    Cet astre, que nous supposons solide, ne serait pas pour cela un corps solide invariable ; de pareils corps n’existent que dans les traités de Mécanique rationnelle.

    Il serait élastique et subirait, sous l’attraction des corps célestes voisins, des déformations analogues aux marées et du même ordre de grandeur. (Poincaré (1898))

    ↩︎

Références

G. Bigourdan (1898) Compte rendu de M. Simonin, Sur le mouvement des périhélies de Mercure et de Mars et du nœud de Vénus. Bulletin astronomique 15 (5), pp. 197. Lien externe.↩︎

N. C. Dunér (1891) Recherches sur la rotation du soleil. E. Berling, Uppsala.↩︎

S. Newcomb (1894) Sur les variations séculaires des orbites des quatre planètes intérieures. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences de Paris 119 (24), pp. 983–986. Lien externe↩︎

H. Poincaré (1898a) Sur la stabilité du système solaire. Annuaire du Bureau des longitudes, pp. B1–B16. Lien externe↩︎

H. Poincaré (1953) Les limites de la loi de Newton. Bulletin astronomique 17 (3), pp. 121–269. Lien externe↩︎

Poincaré, Henri. 1898b. “Sur La Stabilité Du Système Solaire.” Revue Scientifique 9: 609–13.↩︎

A. Secchi (1870) Le soleil : exposé des principales découvertes modernes sur la structure de cet astre, son influence dans l’univers et ses relations avec les autres corps célestes. Gauthier-Villars, Paris.Lien externe↩︎

M. Simonin (1897) Sur le mouvement des périhélies de Mercure et de Mars, et du nœud de Vénus. Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des sciences de Paris 124, pp. 1423–1426. Lien externe↩︎

M. Simonin (1898) Lettre de M. Simonin. Bulletin astronomique 15 (9), pp. 366–368.Lien externe↩︎

Titre
Martial Simonin à Henri Poincaré, juin 1898
Incipit
Dans le numéro de mai dernier du Bulletin astronomique, p. 197 ...
Date
1898-06
Adresse
Paris
Lieu
Paris
Chapitre
Martial Simonin
Lieu d’archivage
Published source
Type
fr Transcription imprimée d’une lettre
Section (dans le livre)
3
Nombre de pages
3
Langue
fr
Publié sous la référence
Bull. astron. 18, p. 366-368
Licence
CC BY-ND 4.0

« Martial Simonin à Henri Poincaré, Juin 1898 ». La Correspondance Entre Henri Poincaré, Les Astronomes Et Les géodésiens. Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 25 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/8374