LettrePoincaré à Comon, 1874

H. Poincaré to Louis Comon

[Début février 1879 ? (après le 31 janvier)]

Mon cher Louis,

La nouvelle de la démission du Maréchal a produit le plus déplorable sur deux classes de la population française.

La première classe, c’est l’armée ; quand je dis l’armée, je veux dire la partie la plus intelligente d’icelle, ou pour être plus explicite encore, je veux dire M. Paul Xardel ; le reste, nous n’en parlerons pas. Or donc cet éminent officier donne depuis hier les signes de la plus vive agitation ; tantôt il voudrait voir M. Gambetta à la présidence, M. Floquet au ministère de la guerre pour en finir une bonne fois ; tantôt il dépeint la situation sous les couleurs les plus sombres, une assemblée socialiste, la France peuplée d’assassins, d’incendiaires et de voleurs. En vain il fait résonner son sabre sur les trottoirs pour se donner de la confiance, il n’y réussit qu’à moitié et l’avenir de la France, même défendue par lui, ne lui semble pas gai ; aussi ses cheveux tombent, ainsi qu’il en faisait l’aveu tout à l’heure devant maintes beautés éplorées et qui voyaient déjà un de leurs plus brillants cavaliers, réduit par la faute des républicains, à l’état de genou ambulant.

La seconde classe, ce sont les sangliers. Depuis que le Nemrod des temps modernes, prisonnier comme chacun sait, de MM. Dufaure et consorts, avait dû interrompre le cours de ses exploits cynégétiques, pour s’enfermer dans les murs de l’Élysée qu’il faisait retentir, de temps en temps d’objurgations peu parlementaires, depuis ce temps, dis-je, les sangliers pullulaient sans vergogne dans nos forêts. Ils s’étaient habitués à ce doux régime et ils voyaient avec terreur approcher l’échéance de 1880. Mais voilà qu’une nouvelle épouvantable vient les plonger dans la consternation ; l’échéance est devancée, l’inquiétude se met dans leurs rangs, ils s’arrachent les feuilles publiques ; mais bientôt le doute n’est plus permis, l’impitoyable ennemi est déchaîné ; les murs de l’Élysée peuvent cesser de se boucher les oreilles ; en revanche les laies du grand monde doivent prendre bien des précautions pour que leur jeunes marcassins n’entendent rien qui soit de nature à effaroucher leurs oreilles pudibondes. Ce n’est là que le moindre danger, toute cette malheureuse population est en émoi et maudit les Chambres et le ministère qui les exposent à de tels périls.

Dans l’Est depuis longtemps hélas, la sécurité avait cessé de régner, une redoutable carabine avait déjà fait bien des victimes entre autres un malheureux lièvre dont les dépouilles opimes envoyées à Nancy ont fait pousser des cris d’admiration et de joie aux habitants de cette ville. Mais les tribulations de cet animal ne se borneront pas là ; découpé en deux morceaux par le grand sacrificateur ; il restera par moitié à Nancy, pendant que l’autre moitié s’en allait rue des Feuillantines 83 à Paris. Dieu veuille que le nouveau fléau déchaîné depuis le 30 janvier ne détruise pas cette espèce, ce qui serait une perte irréparable pour l’art culinaire. Dernières nouvelles

L’élection de M le Maréchal de Mac-Mahon comme prince de Bulgarie est regardée comme certaine. On annonce que M. Paul Xardel va se faire naturaliser Bulgare.

Havasi

Henri11Le manuscrit porte une annotation de main inconnue : “Merci Louis, Henri dit des bêtises”.

ALS 4p. Collection particulière, 75017 Paris.

Titre
Poincaré à Comon, 1874
Incipit
La nouvelle de la demission du Maréchal ...
Date
1874
Lieu
Paris
Lieu d’archivage
Private collection 75017
Type
fr Lettre autographe
Section (dans le livre)
0
Droits
Archives Henri Poincaré
Nombre de pages
4
Langue
fr
Licence
CC BY-ND 4.0

« Poincaré à Comon, 1874 ». Archives Henri Poincaré, s. d, Archives Henri Poincaré, s. d, La correspondance d'Henri Poincaré, consulté le 18 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/correspondance/item/9663