LettreSpiru C. Haret à Henri Poincaré, 18 janvier 1912

 

\(\frac{18}{31}\) I [1]9121

M. Henri Poincaré, Membre de l’Institut, professeur à la Sorbonne

Monsieur,

Veuillez m’excuser de ce que, n’ayant pas l’honneur d’être connu de vous autrement que par l’envoi, il y a un an, de mon ouvrage sur la Mécanique Sociale, je viens vous entretenir un moment sur un sujet qui, à mon avis, intéresse les sciences à un haut point.2

Vous êtes un grand mathématicien, et en même temps un grand philosophe. En cette double qualité, je pense qu’il est impossible que vous n’ayez pas été frappé, comme moi, par l’ignorance dont très souvent des savants distingués, mais qui ne sont pas mathématiciens, des principes et des méthodes mathématiques.3 Or depuis quelques temps ces principes et ces méthodes tendent à pénétrer dans des domaines où, il n’y a pas longtemps, on considérait leur intrusion comme une impossibilité, si ce n’est comme une absurdité. Il en suit que souvent dans l’établissement de nouvelles théories, intéressantes au moins par leurs tendances, si ce n’est encore par leurs résultats acquis, on voit surgir des discussions oiseuses qui n’auraient pas lieu, si ceux qui y prennent part étaient mieux au courant des principes et des méthodes mathématiques.

Je crois qu’une bonne partie de cet inconvénient disparaîtrait si on mettait à la portée de ces savants un livre qui contienne l’exposition de ces méthodes et de ces principes entièrement dégagée de tout appareil technique, mais écrit de telle sorte qu’il se mette au niveau des connaissances et de la manière de voir des savants qui ne font pas des mathématiques l’objet habituel de leurs études.

Pour faire un pareil livre, il faut un homme de grande autorité qui soit un grand mathématicien, doublé d’un philosophe. Je ne verrais, dans le monde savant contemporain, que deux personnes qui répondent à ces conditions : c’est vous et M. Émile Picard.

C’est pourquoi je me permets de soumettre cette idée à votre haute appréciation. Si, comme moi, vous pensez que la chose en vaut la peine, pour vous ce serait un jeu de mettre au service de la science un pareil livre, soit que vous vous en chargiez vous-même dans vos moments disponibles, soit que M. Picard veuille bien s’en charger, soit que un de vos nombreux brillants étudiants s’en acquitte, en profitant de vos conseils et sous votre direction.

Vous êtes le maître, Monsieur, de juger de l’opportunité de cette proposition, et de lui donner la suite que vous jugerez convenable. Dans tous les cas, veuillez croire que, si je me suis permis de vous adresser ces lignes, ce n’est que dans le désir de rendre un service à la science, en attirant votre attention sur un travail qui ne ferait qu’augmenter votre gloire scientifique, déjà si grande.

Veuillez en même temps agréer, Monsieur, l’expression des sentiments de haute considération et d’estime que je vous conserve.


Apparat critique 

  1. Sur les relations entre Poincaré et Haret, voir M. Stavinschi (2004).↩︎

  2. Haret (1910).↩︎

  3. Lire: “En cette double qualité, je pense qu’il est impossible que vous n’ayez pas été frappé, comme moi, par l’ignorance dont [font preuve] très souvent des savants distingués [–] mais qui ne sont pas mathématiciens [–] des principes et des méthodes mathématiques.”↩︎


Références

Haret, Spiru C. 1910. Mécanique sociale. Paris: Gauthier-Villars.↩︎

Stavinschi, Magda, and V. Mioc. 2004. “Astronomical researches in Poincaré’s and Romanian works.” http://syrte.obspm.fr/journees2004/PDF/Stavinschi.pdf.↩︎

Titre
Spiru C. Haret à Henri Poincaré, 18 janvier 1912
Incipit
Veuillez m'excuser de ce que, n'ayant pas l'honneur ...
Date
1912-01-18
Adresse
Paris
Lieu
Bucharest
Chapitre
Spiru C. Haret
Cote (dans les archives)
Fonds Spiru C. Haret
Type
fr Brouillon autographe
Section (dans le livre)
1
Nombre de pages
2
Langue
fr
Licence
CC BY-ND 4.0

“Spiru C. Haret à Henri Poincaré, 18 janvier 1912”, Archives Henri Poincaré, Henri Poincaré 1854-1912, consulté le 29 avril 2024, https://henripoincare.fr/s/accueil/item/11613