Partie 4 - Les études au lycée de Nancy

Poincaré entre au lycée de Nancy en tant qu’élève externe en octobre 1862. Il est âgé de huit ans. Auparavant il a bénéficié des cours particuliers d’Alphonse Hinzelin, un ami de la famille49. L’obtention du baccalauréat est le symbole de l’appartenance à une élite bourgeoise et intellectuelle. Les grandes écoles parisiennes (École polytechnique, Saint-Cyr, École normale supérieure) bénéficient d’un prestige important chez les notables locaux, qui s’efforcent d’y envoyer leurs enfants lorsque ceux-ci disposent des capacités et des talents demandés. Depuis des années, il existe un marché de la préparation aux concours des grandes écoles que se partagent les lycées publics et les institutions privées, souvent confessionnelles50.

Au milieu des années 1860, le lycée impérial de Nancy est doté d’une section de mathématiques spéciales dédiée à la préparation de ces concours. Elle obtient chaque année d’assez bons résultats. Cependant, étudier au lycée représente un coût important pour les familles : les frais de scolarité pour un élève externe s’échelonnent de 120 francs par an pour les classes élémentaires (que l’on appellerait collège aujourd’hui) à 200 francs par an pour la division supérieure (classes de rhétorique et de philosophie). Les frais en classe de mathématiques spéciales s’élèvent quant à eux à 250 francs, auxquels s’ajoutent des charges spéciales pour les conférences, répétitions et examens (de 60 à 145 francs selon le niveau de scolarité). Pour les élèves pensionnaires, les frais annuels sont bien plus importants et sont compris entre 800 et 1 000 francs par an51. À titre de comparaison, 200 francs représentent près de trois mois de salaire pour un ouvrier à cette époque.

Inutile de préciser que le système éducatif français est à cette époque très rigide. Il est en effet étroitement contrôlé par l’administration impériale qui entend le voir pérenniser le modèle culturel dominant des humanités classiques. Dans les années 1860, la scolarité des élèves est organisée en trois divisions. La division élémentaire va jusqu’à la fin de la classe de septième ; elle est centrée sur l’histoire, la religion, les grammaires latine et française, la géographie, les mathématiques et l’apprentissage d’une langue étrangère. Après avoir passé un examen, les élèves peuvent ensuite être orientés vers la division de grammaire, qui va de la classe de sixième à la fin de la classe de quatrième ; elle est centrée sur l’enseignement du latin, du français, de la grammaire grecque, de la géographie et de l’histoire, des mathématiques et d’une langue vivante. Vient ensuite la division supérieure qui connaît alors de profonds bouleversements.

En 1852, le ministre de l’Instruction publique Hippolyte Fortoul avait mis en place une importante réforme de l’enseignement secondaire. Elle affectait tout particulièrement les classes supérieures en instituant un système de bifurcation. L’idée de cette réforme était de mettre fin aux débats stériles sur la prééminence des lettres ou des sciences en instituant deux baccalauréats différents mais d’égale valeur. Tous les élèves du secondaire bénéficiaient d’un enseignement commun de la classe de sixième à la classe de quatrième. À la fin de la quatrième, après avoir passé un examen, ils étaient répartis en trois catégories. Les ‘inaptes’ – plus précisément les élèves que leurs familles ne destinaient pas à des études longues – quittaient l’enseignement secondaire. Les élèves restants étaient répartis, suivant leurs aptitudes, au sein des deux sections de la division supérieure, l’une à dominante littéraire et l’autre à dominante scientifique. Cependant, les sciences étaient considérées comme moins importantes que les lettres.

La section scientifique préparait au baccalauréat ès sciences et s’adressait surtout aux élèves qui désiraient entrer dans les écoles spéciales (comme par exemple l’École forestière de Nancy52) qui se destinaient à une carrière industrielle ou commerciale ou qui envisageaient d’intégrer une faculté des sciences ou une faculté de médecine. La section littéraire préparait quant à elle au baccalauréat ès lettres et s’adressait aux élèves désireux de faire des études littéraires ou de s’orienter vers des carrières juridiques. Ce système de bifurcation avait été conçu pour moderniser les enseignements, notamment en les ouvrant sur les langues vivantes et sur les sciences. Pour ces dernières, il privilégiait une pédagogie très utilitariste, afin d’offrir aux élèves une formation susceptible de les aider à s’insérer sur le marché du travail.

La réforme Fortoul de 1852 s’était traduite par le remplacement de la classe de philosophie par une classe de « logique » et par la suppression de l’agrégation de philosophie. Il s’agissait à la fois de reprendre en main les enseignements dans ce domaine, de remettre en cause le poids de l’École normale supérieure, dont le régime impérial se défiait, et de rassurer les familles qui pouvaient s’inquiéter du caractère séditieux et potentiellement immoral de l’enseignement philosophique (pour Fortoul l’école avait vocation à former des professeurs et non des rhéteurs).

Très critiquée, imparfaitement mise en place dans les lycées, jugée parfois incompréhensible par les parents d’élèves – souvent très attachés au prestige des humanités classiques à une époque où le conflit entre les ‘Anciens’ et les ‘Modernes’ était toujours vivace – la bifurcation avait été supprimée en 1864 par le ministre Victor Duruy. Il avait rétabli l’unité de l’enseignement et recréé donc la classe de philosophie, à nouveau considérée comme le couronnement des études secondaires. Il avait de plus rétabli l’agrégation de philosophie dès 186353. On en revenait donc en 1865 à l’unité d’un enseignement secondaire basé sur l’enseignement littéraire. Le baccalauréat ès sciences était quant à lui placé après le cycle complet d’études littéraires et pouvait être préparé par un cours de mathématiques.

C’est donc dans un système scolaire très changeant que Poincaré fait ses études secondaires54. La scolarité de Poincaré dans les petites classes se passe brillamment. Il semble tout autant doué pour les lettres que pour les sciences. En quatrième (1867) sa précocité mathématique se révèle nettement. Félix Aristide Georgel, son professeur à ce moment, déclare à sa mère : « Madame, votre fils sera mathématicien »55. Après la classe de troisième, Poincaré a le choix entre une seconde littéraire ou une seconde scientifique. Il opte pour la première et suit un parcours qui le mène en classe de rhétorique. Son professeur de lettres est alors Alexandre de Roche du Teilloy. Il remarque très vite son originalité56.

En toute logique, après la classe de rhétorique, Poincaré aurait dû intégrer la classe de philosophie. Il fait cependant le choix de ne pas suivre cette voie. Il prépare donc par lui-même la partie philosophique de baccalauréat en prenant quelques leçons privées57. Comme on l’a vu précédemment, plusieurs témoignages laissent penser qu’il dispose déjà d’une certaine culture philosophique liée à la fréquentation de quelques auteurs. Son choix de ne pas faire sa philosophie pourrait sembler surprenant au premier abord mais il n’est pas si atypique qu’on pourrait le croire. En effet les élèves peuvent se présenter à une session du baccalauréat ès lettres sans avoir fait une année complète de philosophie, et il n’est par conséquent pas rare que les professeurs de philosophie n’aient quasiment plus d’élèves à la fin de l’année scolaire58.

En août 1871, Poincaré passe donc son baccalauréat ès lettres et l’obtient avec la mention Bien. Il souhaite passer son baccalauréat ès sciences dans la foulée du baccalauréat ès lettres mais ses examinateurs insistent pour qu’il bénéficie d’une préparation spéciale. Il suit donc les cours de la classe de mathématiques élémentaires jusqu’à la session d’automne, qui a lieu en novembre. Il n’obtient que la mention Assez Bien, en raison d’un zéro dans l’une des compositions scientifiques portant sur les progressions géométriques. Cette note est éliminatoire mais Poincaré bénéficie de la clémence du jury… Pour quelle raison ? La réponse tient sans doute à la tutelle universitaire qui s’exerce sur les lycées. La responsabilité des examens du baccalauréat incombe alors aux professeurs des facultés des sciences et des lettres et non aux enseignants du secondaire (ceux-ci ne seront associés aux jurys qu’à partir de 1902). Ce sont donc les universitaires qui se chargent d’organiser les sessions d’examen – deux à trois par an, selon les époques – et qui interrogent les candidats. Or les examinateurs de Poincaré pour le baccalauréat scientifique ne sont autres que Camille Forthomme et Nicolas Renard, grands amis de la famille Poincaré, comme on l’a vu, et qui connaissent fort bien la valeur du candidat.

Disposant de ses deux baccalauréats, Poincaré poursuit ses études en mathématiques élémentaires. Son ambition est de préparer les concours des grandes écoles. Durant l’année scolaire 1872-1873, il suit ensuite les cours de Victor Elliott (1847-1894) en classe de mathématiques spéciales. C’est durant cette année qu’il se lie d’amitié avec le mathématicien Paul Appell59.

Un dé

4. Les études au lycée de Nancy

Poincaré entre au lycée de Nancy en tant qu’élève externe en octobre 1862. Il est âgé de huit ans. Auparavant il a bénéficié des cours particuliers d’Alphonse Hinzelin, un ami de la famille49. L’obtention du baccalauréat est le symbole de l’appartenance à une élite bourgeoise et intellectuelle. Les grandes écoles parisiennes (École polytechnique, Saint-Cyr, École normale supérieure) bénéficient d’un prestige important chez les notables locaux, qui s’efforcent d’y envoyer leurs enfants lorsque ceux-ci disposent des capacités et des talents demandés. Depuis des années, il existe un marché de la préparation aux concours des grandes écoles que se partagent les lycées publics et les institutions privées, souvent confessionnelles50.

Au milieu des années 1860, le lycée impérial de Nancy est doté d’une section de mathématiques spéciales dédiée à la préparation de ces concours. Elle obtient chaque année d’assez bons résultats. Cependant, étudier au lycée représente un coût important pour les familles : les frais de scolarité pour un élève externe s’échelonnent de 120 francs par an pour les classes élémentaires (que l’on appellerait collège aujourd’hui) à 200 francs par an pour la division supérieure (classes de rhétorique et de philosophie). Les frais en classe de mathématiques spéciales s’élèvent quant à eux à 250 francs, auxquels s’ajoutent des charges spéciales pour les conférences, répétitions et examens (de 60 à 145 francs selon le niveau de scolarité). Pour les élèves pensionnaires, les frais annuels sont bien plus importants et sont compris entre 800 et 1 000 francs par an51. À titre de comparaison, 200 francs représentent près de trois mois de salaire pour un ouvrier à cette époque.

Inutile de préciser que le système éducatif français est à cette époque très rigide. Il est en effet étroitement contrôlé par l’administration impériale qui entend le voir pérenniser le modèle culturel dominant des humanités classiques. Dans les années 1860, la scolarité des élèves est organisée en trois divisions. La division élémentaire va jusqu’à la fin de la classe de septième ; elle est centrée sur l’histoire, la religion, les grammaires latine et française, la géographie, les mathématiques et l’apprentissage d’une langue étrangère. Après avoir passé un examen, les élèves peuvent ensuite être orientés vers la division de grammaire, qui va de la classe de sixième à la fin de la classe de quatrième ; elle est centrée sur l’enseignement du latin, du français, de la grammaire grecque, de la géographie et de l’histoire, des mathématiques et d’une langue vivante. Vient ensuite la division supérieure qui connaît alors de profonds bouleversements.

En 1852, le ministre de l’Instruction publique Hippolyte Fortoul avait mis en place une importante réforme de l’enseignement secondaire. Elle affectait tout particulièrement les classes supérieures en instituant un système de bifurcation. L’idée de cette réforme était de mettre fin aux débats stériles sur la prééminence des lettres ou des sciences en instituant deux baccalauréats différents mais d’égale valeur. Tous les élèves du secondaire bénéficiaient d’un enseignement commun de la classe de sixième à la classe de quatrième. À la fin de la quatrième, après avoir passé un examen, ils étaient répartis en trois catégories. Les ‘inaptes’ – plus précisément les élèves que leurs familles ne destinaient pas à des études longues – quittaient l’enseignement secondaire. Les élèves restants étaient répartis, suivant leurs aptitudes, au sein des deux sections de la division supérieure, l’une à dominante littéraire et l’autre à dominante scientifique. Cependant, les sciences étaient considérées comme moins importantes que les lettres.

La section scientifique préparait au baccalauréat ès sciences et s’adressait surtout aux élèves qui désiraient entrer dans les écoles spéciales (comme par exemple l’École forestière de Nancy52) qui se destinaient à une carrière industrielle ou commerciale ou qui envisageaient d’intégrer une faculté des sciences ou une faculté de médecine. La section littéraire préparait quant à elle au baccalauréat ès lettres et s’adressait aux élèves désireux de faire des études littéraires ou de s’orienter vers des carrières juridiques. Ce système de bifurcation avait été conçu pour moderniser les enseignements, notamment en les ouvrant sur les langues vivantes et sur les sciences. Pour ces dernières, il privilégiait une pédagogie très utilitariste, afin d’offrir aux élèves une formation susceptible de les aider à s’insérer sur le marché du travail.

La réforme Fortoul de 1852 s’était traduite par le remplacement de la classe de philosophie par une classe de « logique » et par la suppression de l’agrégation de philosophie. Il s’agissait à la fois de reprendre en main les enseignements dans ce domaine, de remettre en cause le poids de l’École normale supérieure, dont le régime impérial se défiait, et de rassurer les familles qui pouvaient s’inquiéter du caractère séditieux et potentiellement immoral de l’enseignement philosophique (pour Fortoul l’école avait vocation à former des professeurs et non des rhéteurs).

Très critiquée, imparfaitement mise en place dans les lycées, jugée parfois incompréhensible par les parents d’élèves – souvent très attachés au prestige des humanités classiques à une époque où le conflit entre les ‘Anciens’ et les ‘Modernes’ était toujours vivace – la bifurcation avait été supprimée en 1864 par le ministre Victor Duruy. Il avait rétabli l’unité de l’enseignement et recréé donc la classe de philosophie, à nouveau considérée comme le couronnement des études secondaires. Il avait de plus rétabli l’agrégation de philosophie dès 186353. On en revenait donc en 1865 à l’unité d’un enseignement secondaire basé sur l’enseignement littéraire. Le baccalauréat ès sciences était quant à lui placé après le cycle complet d’études littéraires et pouvait être préparé par un cours de mathématiques.

C’est donc dans un système scolaire très changeant que Poincaré fait ses études secondaires54. La scolarité de Poincaré dans les petites classes se passe brillamment. Il semble tout autant doué pour les lettres que pour les sciences. En quatrième (1867) sa précocité mathématique se révèle nettement. Félix Aristide Georgel, son professeur à ce moment, déclare à sa mère : « Madame, votre fils sera mathématicien »55. Après la classe de troisième, Poincaré a le choix entre une seconde littéraire ou une seconde scientifique. Il opte pour la première et suit un parcours qui le mène en classe de rhétorique. Son professeur de lettres est alors Alexandre de Roche du Teilloy. Il remarque très vite son originalité56.

En toute logique, après la classe de rhétorique, Poincaré aurait dû intégrer la classe de philosophie. Il fait cependant le choix de ne pas suivre cette voie. Il prépare donc par lui-même la partie philosophique de baccalauréat en prenant quelques leçons privées57. Comme on l’a vu précédemment, plusieurs témoignages laissent penser qu’il dispose déjà d’une certaine culture philosophique liée à la fréquentation de quelques auteurs. Son choix de ne pas faire sa philosophie pourrait sembler surprenant au premier abord mais il n’est pas si atypique qu’on pourrait le croire. En effet les élèves peuvent se présenter à une session du baccalauréat ès lettres sans avoir fait une année complète de philosophie, et il n’est par conséquent pas rare que les professeurs de philosophie n’aient quasiment plus d’élèves à la fin de l’année scolaire58.

En août 1871, Poincaré passe donc son baccalauréat ès lettres et l’obtient avec la mention Bien. Il souhaite passer son baccalauréat ès sciences dans la foulée du baccalauréat ès lettres mais ses examinateurs insistent pour qu’il bénéficie d’une préparation spéciale. Il suit donc les cours de la classe de mathématiques élémentaires jusqu’à la session d’automne, qui a lieu en novembre. Il n’obtient que la mention Assez Bien, en raison d’un zéro dans l’une des compositions scientifiques portant sur les progressions géométriques. Cette note est éliminatoire mais Poincaré bénéficie de la clémence du jury… Pour quelle raison ? La réponse tient sans doute à la tutelle universitaire qui s’exerce sur les lycées. La responsabilité des examens du baccalauréat incombe alors aux professeurs des facultés des sciences et des lettres et non aux enseignants du secondaire (ceux-ci ne seront associés aux jurys qu’à partir de 1902). Ce sont donc les universitaires qui se chargent d’organiser les sessions d’examen – deux à trois par an, selon les époques – et qui interrogent les candidats. Or les examinateurs de Poincaré pour le baccalauréat scientifique ne sont autres que Camille Forthomme et Nicolas Renard, grands amis de la famille Poincaré, comme on l’a vu, et qui connaissent fort bien la valeur du candidat.

Disposant de ses deux baccalauréats, Poincaré poursuit ses études en mathématiques élémentaires. Son ambition est de préparer les concours des grandes écoles. Durant l’année scolaire 1872-1873, il suit ensuite les cours de Victor Elliott (1847-1894) en classe de mathématiques spéciales. C’est durant cette année qu’il se lie d’amitié avec le mathématicien Paul Appell59.

Un débat très partagé anime alors la famille concernant le choix de l’école. Émile-Léon Poincaré préférerait voir son fils entrer à l’École polytechnique et suivre ainsi l’exemple de son propre frère Antonin Poincaré. Eugénie, sa mère, afficherait plutôt une préférence d’ordre romantique pour l’École normale supérieure. Quant à sa sœur, Aline, elle semble avoir le pressentiment que cette dernière école serait mieux adaptée à son tempérament. Bien que penchant sans doute pour l’École polytechnique, Poincaré suit les conseils d’Elliott et se présente au concours de l’École normale supérieure où il est classé cinquième60. C’est cependant son père qui obtient gain de cause : du 4 au 6 août 1873, Poincaré passe à Nancy les épreuves du concours de l’École polytechnique61. Il obtient la première place avec des notes exceptionnelles.

;bat très partagé anime alors la famille concernant le choix de l’école. Émile-Léon Poincaré préférerait voir son fils entrer à l’École polytechnique et suivre ainsi l’exemple de son propre frère Antonin Poincaré. Eugénie, sa mère, afficherait plutôt une préférence d’ordre romantique pour l’École normale supérieure. Quant à sa sœur, Aline, elle semble avoir le pressentiment que cette dernière école serait mieux adaptée à son tempérament. Bien que penchant sans doute pour l’École polytechnique, Poincaré suit les conseils d’Elliott et se présente au concours de l’École normale supérieure où il est classé cinquième60. C’est cependant son père qui obtient gain de cause : du 4 au 6 août 1873, Poincaré passe à Nancy les épreuves du concours de l’École polytechnique61. Il obtient la première place avec des notes exceptionnelles.

 

      Coefficient Notes
Épreuves écrites Composition latine   1 4
  Version Latine   1 2
  Composition française   1 3
Épreuves orales Explication d’un auteur grec 1 3
    latin 1 2
    français 1 2
  Philosophie   1 2
  Histoire et géographie   1 2
  Éléments de sciences   1 3
      1 3
  Épreuve facultative d’allemand   1 3
        29

Les notes de Poincaré au baccalauréat ès lettres (5 août 1871)62

      Coefficient Notes
Épreuves écrites Composition scientifique   1 0
      1 2
Épreuves orales Mathématiques   1 3
      1 4
  Physique   1 2
      1 4
        15

Les notes de Poincaré au baccalauréat ès sciences (7 novembre 1871)63

Poincaré entre donc à l’École polytechnique en tant que major de promotion en novembre64. Cependant ces deux réussites ne constituent pas ses seuls titres de gloire. Depuis 1872, Poincaré bénéficie en effet déjà d’une réputation certaine dans les milieux académiques locaux et nationaux. En 1872, il était premier de sa classe, premier au concours académique et second au concours de l’École forestière. Le 12 août 1872, il avait obtenu en outre le prix d’honneur de mathématiques au concours général en tant qu’élève de mathématiques élémentaires. Et il renouvelle ce succès l’année de son admission en tant qu’élève de mathématiques spéciales. Lors de la remise des prix à la Sorbonne en 1872, le public lui fait une longue ovation et il a même droit aux honneurs de la presse65.


 

  1. Alphonse Hinzelin est l’un des témoins mentionnés sur l’acte de naissance de Poincaré en 1854. Journaliste et érudit local, c’est un collaborateur régulier du journal L’impartial, dans lequel il publie de nombreux textes patriotiques. Il rédigera plusieurs ouvrages consacrés à la géographie et à l’histoire de la Meurthe ainsi que des vaudevilles [A. Hinzelin 1857]. C’est probablement lui qui initiera Poincaré aux mathématiques, domaine dans lequel il rédigera d’ailleurs un manuel abrégé de calcul en 1860 [A. Hinzelin 1860].

  2. On citera notamment l’École Sainte-Geneviève, située à Paris rue des Postes et tenue par les jésuites. Dans les années 1870, elle envoie de forts contingents d’élèves à l’École polytechnique et à l’École militaire de Saint-Cyr. Les lettres de Poincaré en 1873-1874 se font l’écho de conflits très âpres entre les élèves polytechniciens issus de la rue des Postes (les postards*) et les autres élèves formés dans les lycées publics. L’un des amis d’enfance de Poincaré, Paul Xardel, devait préparer le concours à l’École Sainte-Geneviève. Pour un panorama du système de préparation des élèves aux concours, voir [B. Belhoste 2001]

  3. Ces chiffres datent de 1876 : Brochure de présentation du Lycée impérial de Nancy, Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, 1 T 596.

  4. Poincaré passera d’ailleurs avec succès le concours de cette école en 1872, sans doute dans le but de s’entraîner à ceux, plus difficiles, des grandes écoles parisiennes. Il est classé second.

  5. Pour une étude détaillée du système de la bifurcation, voir [M. Gontard 1972] et [N. Hulin 1982] et [N. Hulin 1986].

  6. Dans son livre sur Henri Poincaré, Paul Appell indique que celui-ci fut soumis au système de la bifurcation [P. Appell 1925, p. 18] mais le fait que Poincaré ait passé deux baccalauréats semble plutôt contredire cette allégation. Il est vrai cependant que la suppression de la bifurcation devait se faire progressivement.

  7. [P. Appell 1925, p. 16].

  8. « Un jour que je lui avais proposé comme sujet de composition préparatoire au baccalauréat ès lettres les différences entre l’homme et l’animal, après m’avoir lu son travail, jeté sur de petits morceaux de papier de tous formats, il me demanda quelle note probable il obtiendrait à l’examen ; je lui répondis que je ne saurais le dire, très bonne ou médiocre, que c’était trop personnel, trop original, trop osé, trop fort même, pour un candidat au baccalauréat. Désirant conserver cette étude si curieuse, je lui fis promettre de me la copier ; sa modestie ne lui permit pas de tenir parole. » Cité dans [G. Darboux 1913].

  9. [A. Boutroux 2012]. Sur la formation philosophique de Poincaré au lycée, voir [L. Rollet 2014].

  10. [B. Poucet 1999].

  11. Voir [P. Appell 1923] ainsi que [P. Appell 1925].

  12. Aline Boutroux évoque de manière très vivante les débats familiaux sur le choix de l’école : « Henri, admissible à l’École Normale, dut se transporter à Paris pour les examens oraux. Maman l’y accompagna et revint tout à fait séduite par les beaux ombrages qu’elle avait aperçus de la rue d’Ulm. Cela faillit faire pencher le plateau de la balance vers l’École Normale. Les avis étaient, en effet, très partagés, dans la famille, sur la question de savoir laquelle des deux écoles Henri devait choisir. L’École polytechnique avait des partisans ardents, par exemple l’oncle Antoni, par esprit de corps ; et l’uniforme exerçait son prestige. Quant à moi, une sorte de pressentiment me faisait préférer l’École Normale, qui eût été mieux appropriée au tempérament d’Henri. Si je ne l’ai pas emporté à l’époque, la suite est venue me donner raison ». [A. Boutroux 2012, chapitre XX].

  13. À cette époque, l’examen d’admission à l’École polytechnique n’est pas encore centralisé et repose sur des tournées d’examinateurs [B. Belhoste 2002]. C’est Abel Transon (1805-1876), répétiteur d’analyse à l’École polytechnique, qui lui fait passer les examens. Transon est une relation familiale des parents de Paul Xardel, un des amis d’enfance les plus proches de Poincaré, [P. Xardel 2012].

  14. [P. Appell 1925]. À partir de 1865 on adopte une échelle de notation à 5 notes : 0, 1 (passable), 2 (assez bien), 3 (bien), 4 (très bien).

  15. [P. Appell 1925].

  16. Cependant, comme on pourra le voir à la lecture de ses lettres, son refus d’intégrer l’École normale supérieure le suivra durant quelques années et atteindra même les oreilles de Louis Pasteur. Voir ainsi la lettre 291.

  17. Pour une analyse des apparitions de Poincaré dans la grande presse, voir [C. Gerini & J.-M. Ginoux 2012].